Le corps humain est une prodigieuse machine. Il peut accomplir des choses extraordinaires et,
en même temps, se défendre contre les agressions de toutes sortes grâce à son système
immunitaire. Parfois, ces mécanismes de guérison tombent en panne, laissant toute la place aux
maladies infectieuses, au cancer. Heureusement, la médecine moderne dispose d'une vaste
pharmacopée pour nous venir en aide. Pourtant, en misant exclusivement sur la chimie, on
néglige un joueur fort important: le cerveau.
«On a tous un potentiel d'adaptation face à un diagnostic. On peut s'adapter de façon très
positive en disant: «Je vais me battre», ou de façon très négative en disant : «Je suis foutu».
Selon le cas, on n'active pas les mêmes régions cérébrales», explique le Dr Pourcher. Je vais
me battre, je suis foutu. Deux réactions qui reflètent des états psychologiques aux antipodes:
bien-être, mal-être. Deux états qui ont des répercussions diamétralement opposées sur notre
système immunitaire, sur notre état de santé.
Corps et esprit sont intimement liés, grâce au cerveau. Dès qu'une situation menaçante survient,
c'est le cerveau des émotions, qu'on appelle aussi système limbique, qui réagit. À chaque
stress qui nous assaille, l'amygdale, véritable système d'alarme, envoie ses messagers chimiques
vers l'hypothalamus. Le signal est aussitôt relayé vers l'hypophyse, puis vers les capsules
surrénales. Mises en alerte, celles-ci libèrent plusieurs hormones, dont l'hormone du stress, le
cortisol. Le tronc cérébral s'éveille à son tour et met en branle tous nos organes vitaux. Le cœur
bat plus vite, la pression sanguine augmente, le rythme des poumons s'accélère, les bronchioles se
dilatent, transportent plus d'oxygène, la peau libère la sueur, le niveau de sucre dans le sang
augmente. Cet ensemble de réactions en cascade, inscrit dans notre patrimoine génétique, est au
cœur de nos mécanismes de survie. Normalement, tous ces effets sont passagers et disparaissent
dès que le stress déclencheur cesse d'agir. Mais la vie n'est pas aussi simple. Le stress,
parfois, peut persister, devenir chronique.
Claudine Boyer, une jeune mère de famille de 36 ans, a vécu semblable situation. Il y a trois ans,
elle apprenait qu'un cancer des poumons très agressif, un sarcome, la menaçait. Ses chances de
survie étaient de 20 % à peine. Chimiothérapie et chirurgies se succèdent. Rien ne va plus, ni
dans le corps ni dans la tête. «J'arrivais au stationnement de l'hôpital Maisonneuve, j'arrêtais
de respirer, je bloquais complètement. J'étais prise dans la bulle de diagnostic: cancer
égale mort. J'étais habitée par une peur», raconte-t-elle. Difficulté à respirer, serrement de
gorge, voilà des symptômes reliés à des stress de longue durée. L'amygdale, continuellement
sollicitée, déclenche ces réactions à répétition. Le cortisol atteint de fortes concentrations.
Le système immunitaire s'effondre. Après un certain temps, le système nerveux, épuisé, devient
dysfonctionnel. Il ne peut plus faire face aux situations nouvelles. Un sentiment de détresse,
de profonde anxiété s'installe.
Peut-on renverser la vapeur, mettre fin à ce cercle vicieux? Les neurologues et psychologues
croient que oui. Pour ça, il faut agir sur notre cerveau, modifier nos circuits nerveux afin de
remettre en œuvre nos capacités d'autoguérison. Une entreprise hautement subjective, qui
nécessite un travail de maîtrise de ses émotions.
Plusieurs approches ont déjà fait leurs preuves: méditation, yoga, relaxation, prière, etc. Issus
de contextes culturels, religieux ou mystiques différents, ces approches ont toutefois la composante
commune de mettre en place un environnement sécurisant qui favorise la maîtrise de soi.
Pour discuter des voies d'autoguérison, Jean-Charles Crombez, psychiatre au Centre hospitalier de
l'Université de Montréal, s'appuie sur 30 ans de recherches. Il est convaincu que la maîtrise de
soi, des émotions, ça s'apprend. Pour faciliter cet apprentissage, il a développé une approche
nouvelle, dépouillée de tout contexte mystique ou religieux. Ses sessions se déroulent dans un
environnement qui facilite la plongée dans notre monde intérieur. Les premières fois, un psychologue
nous apprend à bien y naviguer. L'objectif est de parvenir à prendre du recul par rapport à nos
émotions, à défaire les nœuds. C'est la seule façon d'arriver à créer un espace intérieur respirable,
où les autres aspects de la vie pourront enfin trouver leur place. Pour Claudine Boyer, cette
méthode, la méthode ÉCHO, découverte quelques mois après l'annonce de son cancer, lui a apporté
une véritable décharge d'oxygène. «Autant la maladie était là, autant elle est maintenant à côté
de moi. Elle est toujours là, j'y pense toujours, mais elle ne m'étouffe plus. J'arrive à fonctionner
dans la vie. J'arrive à avoir des projets. J'arrive à aller chez le médecin sans être totalement
angoissée.»
Quels changements toutes ces pratiques apportent-elles dans les circuits du cerveau pour aider
au passage d'un mal-être profond à un bien-être véritable? Une étude récente, effectuée au Centre
des neurosciences affectives à l'université du Wisconsin, peut en fournir la clé. Le professeur
Richard Davidson a étudié, au moyen d'une caméra à positrons, le cerveau de moines bouddhistes
pendant qu'ils méditent. La maîtrise de soi et la sensation de bien-être qui en résulte animent
de nouveaux circuits cérébraux. Les lobes préfrontaux du cortex cérébral, siège de la conscience
et du contrôle des émotions, sont activés. Puis, tous les circuits de gratification à base de
dopamine entrent en jeu. L'amygdale met fin à la situation d'alerte. La production de cortisol
cesse. Les organes vitaux et le système immunitaire reprennent leur fonctionnement normal.
Le corps humain est une prodigieuse machine. Au cours d'une vie, on ne peut empêcher que des stress
intenses mettent son équilibre en péril, mais en misant sur la partie consciente de notre cerveau
et sur la maîtrise de soi, on peut aider à son bon fonctionnement. C'est la force de notre espèce!
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