Le
jambon fumé de W.E. Bégin
Dans ce magasin de Québec,
toute une équipe travaille d'arrache-pied, surtout
avant Pâques, pour perpétuer une vieille tradition
culinaire : le jambon fumé artisanal. L'épicerie
vous convie à faire le tour du propriétaire
de cette entreprise presque centenaire.
On
vient de loin pour goûter à ce fameux jambon!
Linda Gingras, propriétaire de W.E. Bégin,
raconte : « Certaines personnes ne viennent
nous voir qu'une fois par année. C'est souvent des
gens de l'extérieur de Québec. J'ai des gens
de Montréal, de Toronto, et même de Vancouver,
qui viennent une semaine avant Pâques chercher leur
jambon. C'est une tradition pour eux à Pâques,
le jambon Bégin. L'an passé, j'ai vendu en trois
jours plus de deux tonnes de fesses de jambon ».
En prévision de Pâques, les employés
de W.E. Bégin doivent donc préparer chaque
année plusieurs centaines de jambons fumés en
quelques semaines. Une tâche qui serait aisée
si on procédait de façon industrielle. Mais
pour Mme Gingras, il n'en est pas question. Pour elle,
le jambon, ça se fait à l'ancienne!
Elle
nous conduit jusqu'à Jean Guillemet, boucher-charcutier,
qui nous explique le processus de transformation :
« Pour commencer, j'enlève le bout de
flan, tout en faisant attention de ne pas accrocher les veines.
Cette veine-là se divise en deux parties. On va mettre
de la saumure des deux côtés. Pour mettre de
la saumure dans la pièce de viande, il faut toujours
se fier au poids de la pièce. Celle-ci pèse
22 livres 3/4. D'un côté du jambon, je vais mettre
une livre de saumure, et de l'autre côté, trois,
pour arriver à un total d'environ 15 % du poids
du morceau de viande ».
Le boucher injecte la saumure dans la viande par la veine.
Que contient cette saumure? « Elle est faite
à base d'eau, de sel et de sucre, répond
Mme Gingras. Il y a peut-être aussi des petites
épices. De façon industrielle, ça ne
se fait pas comme ça, par la veine. Ils appellent ça
"flusher", je crois. »
M. Guillemet
confirme : « Ils utilisent plusieurs aiguilles
qui entrent en même temps dans la viande. Si la fesse
pèse environ dix livres, quand ils ont fini, ça
peut peser presque dix-huit livres. C'est rempli de jus et
ça ne goûte pas vraiment le jambon. Ici, on le
fait par les veines. On utilise le même procédé
qu'il y a cent ans. C'est ce qu'il y a de mieux ».
Prochaine
étape : le désossage. « Je le
désosse, mais pas au complet, explique M. Guillemet.
Je commence par enlever le filet mignon. Quand c'est terminé,
on met la viande dans une enveloppe, mais c'est seulement
pour la faire fumer. Ça a l'air d'un sac de plastique,
mais c'est une enveloppe spécialement faite pour ça :
la fumée entre, mais ne sort pas. Et le jambon garde
son jus, sa saumure en même temps. Rien ne se perd. »
Des
jambons suspendus émanent une très bonne odeur
d'érable et de fumée. Mais « il
n'y a aucun produit d'érable injecté dans les
jambons, selon Rodrigue Joncas, copropriétaire.
C'est la fumée d'érable qui donne le goût. Les
jambons restent ici une grosse semaine. Après
ça, ils s'en vont dans le fumoir, qu'on appelle ici
la boucanière. Leur odeur va rester ».
M. Guillemet
termine la visite avec nous. « Quand les fesses
sont dans le fumoir depuis environ huit heures, on vérifie
la température interne de l'une d'elles. Quand ça
donne environ 120 degrés, c'est prêt! »
Si Mme Gingras accorde aujourd'hui autant d'importance
au jambon traditionnel, c'est par respect pour Wilfrid-Édouard
Bégin et son entreprise, fondée en 1904.
« M.
Bégin était un homme assez sévère,
mais un homme qui savait comment ça marchait, dit-elle.
Quand il est décédé, l'entreprise est
allée [voir ses successeurs], qui ont décidé
de vendre. Cinq employés, dont moi-même, avons
acheté le magasin. Maintenant, on est deux. Plusieurs
personnes ont pris leur retraite et j'ai acheté leurs
actions. Je suis donc devenue actionnaire majoritaire, propriétaire. »
Mme Gingras
fait ainsi partie de l'entreprise depuis 28 ans. Elle
est passée de caissière à temps partiel
jusqu'à propriétaire! Un parcours qui n'a pas
été dénué d'embûches, toutefois,
nous confie-t-elle. « Certaines journées
ont été très, très dures. C'est
un milieu d'hommes, et tomber du jour au lendemain avec une
femme comme patron, ça n'a pas été évident
ni pour moi, ni pour eux. Mais après un mois, un mois
et demi, tout est rentré dans l'ordre, et aujourd'hui,
ça va très bien. Si le magasin marche bien aujourd'hui,
c'est grâce à toute l'équipe. C'est une
équipe qui fait que ça marche ou que ça
ne marche pas. Mais j'ai vraiment une belle équipe.
J'ai des gens d'expérience. »
« Je ne pouvais pas laisser aller un commerce
comme ça, poursuit-elle. C'est vraiment un beau
magasin, centenaire. On a beaucoup d'antiquités. On
est encore à l'ancienne, on est vraiment particuliers.
Il n'y a pas beaucoup de commerces qui sont comme le nôtre »,
conclut la propriétaire, enthousiaste.
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