Il y a 15 ans, le magazine L’actualité prenait le pouls du Québec et du reste du Canada, dans une enquête intitulée Qui nous sommes. Nous avons répété l’exercice en début d’année, avec un sondage pancanadien Radio-Canada-CROP-L’actualité. Nous nous sommes demandé comment, au fil des ans, les valeurs des gens avaient évolué. L’enquête porte sur 16 thèmes. Que pensons-nous de l’immigration, du mariage, des relations avec les adolescents, de l’homosexualité, des politiciens ou encore de l’avenir du Québec? Le reste du Canada et le Québec se sont-ils rapprochés, ou nous trouvons-nous toujours face à deux solitudes?
L’équipe d’Enjeux a partagé, souvent avec humour, les résultats de ce sondage avec des citoyens de Montréal et de Toronto: des coiffeurs, des barbiers, une pompier, des propriétaires de cafés, l’un d’origine italienne, et l’autre, américaine, des politiciens municipaux, un chauffeur de taxi sikh, un restaurateur d’origine chinoise, un propriétaire de dépanneur, des parents de joueurs de hockey, des jeunes des quartiers difficiles, un enseignant homosexuel et des joueurs de bingo.
De gauche à droite: Kwok Nan Chan, restaurateur, Dwayne Sybbliss, travailleur social, Joe Scalia, propriétaire d'un café, Lindsay Hamilton, pompier, André Patry, enseignant, et Hazel McCallion, mairesse de Mississauga
Deux mondes sur l’immigration
Des joueurs de bingo de Rosemont-Petite-Patrie
Un abîme sépare les Québécois des autres Canadiens quant aux perceptions sur l’immigration et les accommodements raisonnables. Raymond Saint-Pierre a notamment tâté le pouls de joueurs de bingo du quartier Rosemont–La Petite-Patrie, à Montréal. « Y a-t-il assez d’immigrants? », demande le journaliste. « Oui », répondent en chœur les gens dans la salle. « Les immigrants doivent-ils préserver leur culture ou s’assimiler? », s’enquiert le reporter. « S’assimiler », explique une joueuse de bingo: « Si on était ailleurs, on ferait autrement. Qu’ils fassent comme nous! »
Le journaliste est aussi retourné à Toronto, une ville qu’il n’avait pas revue depuis une quinzaine d’années. Une ville cosmopolite, où les minorités visibles occupent une place très importante. Un restaurateur d’origine chinoise nous raconte qu’il manque cruellement de main-d’œuvre et qu’il aimerait que le Canada ouvre ses portes à plus d’immigrants. Un chauffeur de taxi sikh explique à Raymond Saint-Pierre que les immigrants doivent s’adapter le plus possible à la société canadienne.
Kuldip Singh Virk, chauffeur de taxi à Toronto
Que dit notre sondage? Au Québec, seulement 8 % des répondants veulent plus d’immigrants. Ailleurs au pays, c’est trois fois plus, soit 21 %. Autre donnée édifiante: 80 % des répondants québécois sont en faveur de l’assimilation. Dans le reste du pays, le pourcentage est de 44 %.
Doit-on dire oui à toutes les demandes à caractère religieux des groupes minoritaires? Encore là, c’est le jour et la nuit. Au Québec, 38 % des répondants croient qu’on devrait accepter de telles demandes, contre 55 %, qui croient qu’on ne devrait en accepter aucune. Ailleurs au pays, c’est l’inverse: 59 % pour qu’on en accepte certaines, et 31 % pour qu’on les refuse toutes.
Les relations hommes-femmes
Sur ce thème, les résultats du sondage démontrent que les valeurs ont changé depuis 15 ans, et que les perceptions sont bien différentes, qu’on soit du Québec ou d’ailleurs au pays.
Le mariage est-il important? Il y a 15 ans, 69 % des Québécois trouvaient que oui. Aujourd’hui, c’est 62 %. Dans le reste du Canada, dans le premier sondage, c’était 92%. Maintenant, c’est 81 %.
Est-ce naturel que la mère sacrifie sa carrière pour élever les enfants? Au Québec, 38 % des répondants pensent que oui. Ailleurs au pays, c’est 65 %.
Notre perception des États-Unis
Diane Solomon, propriétaire d'un café
Diane Solomon est américaine d’origine. Elle a fait ses études à Montréal et y a ouvert un café. En 15 ans, elle a vu l’image des États-Unis se dégrader. Elle raconte qu’elle a un peu honte, aujourd’hui, de dire qu’elle est américaine. Il y a 15 ans, 28 % des Québécois croyaient que les États-Unis avaient une influence négative sur la province. Aujourd’hui, cette opinion est partagée par 64 % des répondants du Québec. Ailleurs au pays, c’est 46 %.
Le Canada devrait-il adopter une attitude plus indépendante à l’égard des États-Unis? Selon le sondage, 72 % des Québécois et 54 % des autres Canadiens croient que oui.
La dualité bonheur-devoir
Préférez-vous les gens qui font leur devoir, ou ceux qui cherchent avant tout le bonheur? À cette question, 52 % des Québécois penchent vers ceux qui font leur devoir. Il y a 15 ans, c’était seulement 43 %. Ainsi, aujourd’hui, sur cette question, le Québec se rapproche du reste du pays, où 68 % des gens préfèrent ceux qui font leur devoir.
Duc Nguyên, propriétaire d'un dépanneur montréalais
Nous avons demandé à Duc Nguyên, propriétaire d’un dépanneur à Montréal, pourquoi les Québécois étaient-ils si différents des autres Canadiens. Sa réponse: « Ils suivent la reine. Nous, on a du sang latin ». « Du sang latin pour un Vietnamien? », poursuit Raymond Saint-Pierre. « Oui, répond Duc, j’ai assez mangé de poutine pour ça! »
Quinze ans après le premier sondage de L’actualité, notre équipe constate que les deux solitudes se sont un peu rapprochées, par exemple dans l’attitude face aux États-Unis. Mais dans le quotidien, lorsqu’on aborde notamment les relations hommes-femmes, on est toujours loin l’un de l’autre. Quant à la perception de l’immigration, c’est carrément le grand écart entre les Québécois et les autres Canadiens.
Note : le sondage Radio-Canada-CROP-L’actualité est disponible cette semaine dans la revue L’actualité.
