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Des « abattoirs fantômes » tuent des animaux en toute clandestinité

Un agent de police transporte dans ses mains une chèvre.

Des agents du contrôle animalier sont intervenus lorsqu’un abattoir illégal a été découvert dans le nord d’Edmonton en février 2023.

Photo : Fournie par John Bos

Un agent de police transporte dans ses mains une chèvre.

Des agents du contrôle animalier sont intervenus lorsqu’un abattoir illégal a été découvert dans le nord d’Edmonton en février 2023.

Photo : Fournie par John Bos

Des « abattoirs fantômes » tuent des animaux clandestinement, sans faire l’objet d’inspections, avant d’en vendre et distribuer la viande. Cette pratique pourrait toutefois menacer la santé publique et l’industrie de la viande au Canada, préviennent des experts du domaine.

Des chèvres abattues dans un garage

En février 2023, John Bos aperçoit une activité étrange par la fenêtre de la cuisine de sa maison d’Edmonton : deux hommes déchargent des chèvres d’un camion en les poussant avec un 2 x 4 pour les mettre dans le garage de la maison voisine.

Le lendemain matin, il fait une découverte macabre : des carcasses de chèvres mortes jonchent le sol du garage, alors que des bêtes encore vivantes sont en liberté dans la ruelle.

[La porte] était grande ouverte; tout le monde pouvait voir. Je me suis approché, mais je ne suis pas entré. Ce que j'ai vu m'a presque fait vomir. Il y avait des morceaux de chèvre partout, du sang sur les murs; c'était dégoûtant, raconte-t-il.

Un garage avec une tache de sang au sol. On aperçoit notamment une carcasse de chèvre sur une bâche bleue.

En février 2023, un abattoir illégal a été découvert dans un garage d'un quartier résidentiel d'Edmonton.

Photo : Fournie par John Bos

Sans le savoir, John Bos était voisin d’un abattoir fantôme, qui tuait des animaux pour revendre leur viande sans aucune inspection sanitaire.

Ces abattoirs illicites peuvent être aménagés dans des granges ou des entrepôts, ou même dans des quartiers résidentiels, comme c’était le cas ici.

Je n’ai jamais vu quelque chose comme ça de ma vie.

Une citation de John Bos, voisin d’un abattoir illégal d’Edmonton

Au moment de la découverte, une publication sur Facebook offrait de jeunes chèvres fraîches. Tout est HALAL, pouvait-on y lire, en anglais. L’adresse de l’annonce était celle du garage.

La publication est disparue du réseau social après que le lieu a été découvert par les autorités.

Tout en reconnaissant qu’une dizaine de chèvres ont été abattues dans le garage, son locataire se défend d’avoir vendu de la viande. Joint au téléphone par CBC, il soutient qu’il abattait des animaux achetés à la ferme par des amis pour les aider à répondre à la hausse du prix de la viande achetée dans des boucheries et des épiceries.

Selon un porte-parole du Service de police d’Edmonton (EPS), la police a enquêté, mais aucune accusation n’a été déposée dans le dossier.

Des sacs de poubelle noirs sont au sol. On peut voir des taches de sang sur les murs.

Des abattoirs illégaux, comme celui-ci, exercent leurs activités sans être soumis aux inspections fédérales ou provinciales.

Photo : Fournie par John Bos

Un danger pour la santé humaine

Au Canada, toute viande destinée à la vente au public doit être inspectée par des autorités fédérales ou provinciales. Les abattoirs illégaux, qui exercent en dehors de ces règles, ne respectent pas nécessairement les normes sanitaires auxquelles les abattoirs légaux doivent se soumettre.

Selon Sylvain Quessy, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal et spécialiste de la salubrité des viandes, l’existence de ces abattoirs fantômes menace la salubrité et la traçabilité des viandes.

Vous n’avez aucune garantie quant à la salubrité des aliments que vous achetez quand c’est fait hors d’un système d’inspection, affirme-t-il.

Quand on parle d'abattoirs illégaux ou quand on parle d'établissements de transformation illégaux, il n'y a aucune règle qui s'applique.

Une citation de Sylvain Quessy, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal

Lynn McMullen, professeure émérite de l’Université de l’Alberta et microbiologiste spécialisée en viandes, abonde dans le même sens.

Tout au long de la chaîne, vous augmentez le risque que quelque chose se passe mal et qu’un être humain soit malade, explique-t-elle.

Selon Santé Canada, chaque année, près de quatre millions de Canadiens vivent un épisode d’intoxication alimentaire.

Lynn McMullen rappelle que les intoxications alimentaires qui découlent de viande contaminée peuvent avoir de graves conséquences.

Les risques que les agents pathogènes d'origine alimentaire posent aux consommateurs vont d'un épisode mineur de gastroentérite, de vomissements ou de diarrhée jusqu'à l'insuffisance rénale et la mort, précise-t-elle.

Une scie à ruban recouverte de viande.

Une scie à ruban couverte de viande se trouvait à l'intérieur d'un abattoir clandestin dans le nord d'Edmonton.

Photo : Fournie

Des répercussions sur l’industrie légale?

L’ex-policier et consultant en sécurité Neil LeMay a mené une enquête sur l’industrie de la viande rouge en Alberta pour le compte d’un client. Son enquête n’incluait toutefois pas le cas décrit dans cet article.

Selon lui, de la viande non inspectée pourrait même être mélangée à de la viande inspectée à l’insu du public.

Certains transformateurs de viande peu scrupuleux achètent de la viande de bœuf légitime provenant de sources inspectées et ajoutent à cette viande du bœuf provenant du marché noir, explique-t-il.

Cette viande est intraçable. Les conséquences seront graves [...] si on apprend que de la viande non inspectée a été mélangée à de la viande inspectée.

Il s’inquiète des répercussions économiques de ces abattoirs illégaux sur l’industrie de la viande au Canada, une industrie dont la valeur annuelle s'élève à plusieurs milliards de dollars.

S’il s’avère que de la viande contaminée se retrouve dans des viandes inspectées, l’industrie agricole et de l’élevage sera sévèrement affectée, prédit-il. Il craint même des fermetures de frontières semblables à celles qui ont décimé l’industrie bovine lors de la crise de la vache folle, en 2003.

Une chèvre vivante dans un enclos en bois et en métal.

Des chèvres vivantes ont aussi été retrouvées dans le garage transformé en abattoir clandestin d'Edmonton.

Photo : Fournie

Plusieurs enquêtes en cours

Le ministère de l’Agriculture de l’Alberta a plusieurs enquêtes en cours en lien avec des abattoirs illégaux et de la vente de viande non inspectée.

Ron Wiebe, le responsable des enquêtes et de l’inspection pour le sud de la province, affirme par écrit que les prix de vente de la viande inspectée dans la province ont augmenté au cours des dernières années.

Selon lui, la viande de bœuf se vendrait deux fois moins cher sur le marché illicite que la viande légale, produite dans des abattoirs inspectés par le fédéral ou la province.

L'unité des enquêtes sur le bétail de la GRC de l’Alberta a aussi confirmé qu'elle mène une enquête depuis l’automne. La fermeture de commerces de viande de Calgary récemment ordonnée par les autorités est en lien avec cette enquête.

Selon l’ex-policier Neil LeMay, seule une organisation sophistiquée peut maintenir un réseau d’approvisionnement, de transport, d’abattage et de vente de viande. Ce que notre évaluation nous a permis de constater, c’est que le crime organisé avait pris le contrôle du marché noir de la viande rouge en Alberta, résume-t-il.

Je pense que c’est une affaire très sérieuse, dit-il.

Des carcasses de bovins recouvertes de neige et de paille.

Lors d'une enquête menée en 2023 par la GRC, des policiers ont découvert des carcasses de bovins abandonnées dans la neige sur une propriété rurale du comté de Wheatland.

Photo : Fournie par la GRC de l'Alberta

Un marché illégal influencé par l’inflation alimentaire?

Pour Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l'Université Dalhousie, la présence d’abattoirs illégaux est un signe qu’il y a de l’argent à faire en évitant les règles et les inspections.

Si on n'a pas à s’occuper de réglementation, si on n’a pas à s’occuper de bureaucratie et si on obtient des rabais sur les intrants, la viande comme telle, eh bien, ça devient plus facile pour un marché noir de prendre de l’expansion, soutient-il.

Même si de telles opérations peuvent être difficiles à détecter et à démanteler, Sylvain Charlebois a un conseil pour les consommateurs.

Si vous voyez qu’on vous offre une pièce de viande qui n’est pas chère, vraiment pas chère, [...] il y a quelque chose qui ne marche pas.

Avec les informations de Terry Reith

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