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Le lac Memphrémagog au cœur d’un débat environnemental transfrontalier

Une femme sourit à la caméra.

La présidente de l'organisme Memphrémagog Conservation, Johanne Lavoie, redoute que les eaux issues d'un dépotoir américain soient éventuellement rejetées dans le lac.

Photo : Radio-Canada / Violette Cantin

Des citoyens de l'Estrie craignent pour le lac Memphrémagog en raison d'un projet de prétraitement des eaux provenant du dépotoir d’une entreprise vermontoise de gestion des déchets. Ils demandent aux gouvernements fédéral et provincial de faire pression sur celui du Vermont pour empêcher le rejet de polluants nocifs dans le lac.

C’est le joyau des Cantons de l’Est, le lac Memphrémagog, déclare avec fierté Johanne Lavoie lorsque nous la rencontrons à Magog, au bord du lac, par un après-midi glacial de janvier. C’est l’eau, c’est la vie, poursuit la présidente de l’organisme Memphrémagog Conservation, qui œuvre à la protection du plan d'eau.

Tout au bout de celui-ci, dans la petite ville américaine de Coventry, l’entreprise Casella Waste Systems exploite un site d’enfouissement où sont acheminés des déchets provenant de plusieurs États américains.

Tous ces déchets produisent du lixiviat, aussi connu sous le nom de jus de poubelle. Ce dernier doit être traité, entre autres parce qu’il contient des substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées (PFAS) qui peuvent avoir des conséquences à long terme sur la santé des humains qui y sont exposés.

Pour ce faire, l'entreprise américaine a bâti une usine de prétraitement des eaux sur le terrain de son site d’enfouissement. Elle espère obtenir un permis du gouvernement du Vermont au cours des prochains mois afin d’y entamer un projet pilote.

Une femme pointe un endroit sur une carte géographique.

Johanne Lavoie pointe l'emplacement du site d'enfouissement de Casella Waste Systems, à Coventry.

Photo : Radio-Canada / Violette Cantin

Préoccupation : destination

Les eaux de lixiviation issues du dépotoir sont en ce moment acheminées par camion vers la capitale de l’État du Vermont, Montpelier, en vertu d’un moratoire en vigueur jusqu’en 2026.

Mais pour l'organisme Memphrémagog Conservation, la construction d’une usine à proximité du lac, l'octroi possible d'un permis pour le projet pilote de Casella Waste Systems et l’expiration imminente du moratoire ouvrent la porte à un éventuel rejet d'eaux prétraitées dans le lac Memphrémagog.

L’une des sources de cette inquiétude, c’est qu’il existe un précédent : jusqu'en 2019, les eaux étaient traitées à l'usine d'épuration de la ville de Newport, au bord du lac Memphrémagog, puis rejetées vers celui-ci. Une étude du Département de la conservation de l'environnement du Vermont rapporte qu’en 2021, les eaux traitées et rejetées par les usines de Newport et de Montpelier comportaient des taux de PFAS au-dessus des limites fixées par l’État.

Johanne Lavoie insiste : elle ne s’oppose pas au traitement du lixiviat, au contraire. C’est plutôt la destination des eaux rejetées qui la préoccupe. Ce qu’on souhaite, c’est que le lixiviat ne revienne plus jamais dans le lac Memphrémagog.

Vue sur un lac alors que le soleil se couche.

Le lac Memphrémagog s'étend de l'Estrie jusqu'au Vermont, aux États-Unis.

Photo : Radio-Canada / Violette Cantin

En entrevue, le vice-président de l’Ingénierie et de la Conformité chez Casella Waste Systems, Samuel Nicolai, assure que cela n’est pas envisagé. Il n’est pas prévu d’acheminer le lixiviat vers la ville de Newport ou de développer un système de traitement sur place qui permettrait un rejet vers le lac, affirme-t-il. Il insiste : le lixiviat continuera d’être acheminé par camion à Montpelier.

Une information que confirme la gestionnaire de programme au sein du Département de la conservation de l’environnement du Vermont, Amy Polaczyk. Le permis avec lequel nous travaillons [...] autorise uniquement le rejet d’eaux vers la station d’épuration des eaux usées de Montpelier. Nous n’avons pas reçu de demande pour examiner de possibles rejets du site vers le lac Memphrémagog.

Malgré les explications de Casella Waste Systems, l’organisme Memphrémagog Conservation demeure inquiet. Le système de prétraitement des eaux conçu par l’entreprise n’est pas à la hauteur de ses attentes, et advenant un déversement vers le lac, des PFAS pourraient se retrouver dans son bassin versant.

Voilà pourquoi Memphrémagog Conservation demande qu’un moratoire permanent soit mis en place pour succéder à celui qui expire en 2026. L'organisme interpelle les gouvernements fédéral et provincial afin qu’ils défendent l’idée auprès de celui du Vermont.

C’est rare qu’on reçoive du temps en cadeau. C’est ce qu’on a donné à nos gouvernements, et ils devraient mieux l’utiliser.

Une citation de Johanne Lavoie, présidente de Memphrémagog Conservation

Les PFAS inquiètent

La professeure titulaire au département de chimie de l’Université de Sherbrooke Céline Guéguen croit elle aussi à la pertinence d’un moratoire permanent, puisque les PFAS l'inquiètent.

C’est très alarmant, dit Mme Guéguen. Ce sont des composés nouveaux, mais des données montrent qu’ils peuvent interférer avec les hormones humaines. Et l’eau du lac Memphrémagog, c’est notre eau potable. Donc on aurait, potentiellement, une eau potable qui contient des PFAS.

La professeure rappelle que le lac sert de source d’eau potable à 175 000 Québécois de la région. Il est néanmoins difficile de connaître les conséquences à long terme de ces PFAS, car on ne comprend un peu mieux leur nocivité que depuis quelques années.

Motion et pétition à l’Assemblée nationale

Le dossier est bien connu des parlementaires québécois : en 2021, les élus avaient voté à l’unanimité une motion demandant à ce que le lixiviat issu du dépotoir de Coventry ne soit jamais déversé dans le lac.

En décembre dernier, le député d’Orford et président de la table de concertation des élus sur le lac Memphrémagog, Gilles Bélanger, a déposé à l’Assemblée nationale une pétition réclamant exactement la même chose.

On est mieux [...] avec un principe de précaution, explique-t-il en entrevue. Autrement dit, il se dit ouvert à deux options d’ici la fin du moratoire, en 2026 : soit l'entreprise Casella Waste Systems développe un système de prétraitement des eaux qui élimine un maximum de PFAS, soit le moratoire est renouvelé indéfiniment.

Si on n'est pas d’accord avec la façon dont ils traitent le lixiviat, si ce n’est pas suffisant, le moratoire va continuer. Mais pour se battre là-dessus, il ne faut pas tirer toutes nos cartouches trois ans à l'avance. Le dossier évolue.

L’État du Vermont réglemente cinq types de PFAS, bien qu’il en existe des milliers. Ces cinq composés sont au cœur de nos préoccupations, admet le vice-président de Casella Waste Systems. Mais nous n'avons pas sélectionné un traitement qui élimine uniquement certains composés ou qui serait conçu seulement pour répondre aux réglementations minimales, se défend Samuel Nicolai.

Le ministère de l’Environnement du Québec et celui du Canada ont refusé nos demandes d’entrevue, mais ont assuré par écrit qu’ils travaillaient tous deux avec leurs homologues américains pour assurer la protection du lac.

D’ici là, Johanne Lavoie continue à espérer qu'une interdiction permanente de déverser des eaux issues d’un dépotoir dans le lac Memphrémagog sera mise en place. C’est nos enfants, puis nos petits-enfants qui vont boire cette eau-là.

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