•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Chirurgiens plasticiens et... influenceurs?

Les réseaux sociaux sont devenus un outil publicitaire de choix pour de nombreux chirurgiens plasticiens québécois.

Un homme sourit à la caméra.

Le Dr Hani Sinno constate que son utilisation d'Instagram lui a permis d'élargir sa clientèle.

Photo : Radio-Canada / Violette Cantin

Patiente émue aux larmes, photos de type avant/après une opération… De nombreux chirurgiens plasticiens qui pratiquent au privé, dont des Québécois, utilisent les médias sociaux pour promouvoir leurs affaires et y cumulent des milliers d’abonnés. Leur présence y est telle que certains d’entre eux constatent carrément un phénomène de « médecins-influenceurs ».

Le Dr Hani Sinno nous reçoit dans sa clinique du centre-ville de Montréal. Fervent utilisateur d'Instagram, il y est suivi par près de 30 000 abonnés. À ses yeux, l’arrivée d’Instagram a changé la game dans sa profession.

En un an, ma pratique a augmenté de 30 % juste parce que je suis sur Instagram, affirme le Dr Sinno, qui utilise ce réseau social depuis 2017. Il se qualifie de petit influenceur, puisque des milliers de personnes voient ses stories chaque jour.

L'entrée d'un édifice.

La clinique du Dr Sinno, au centre-ville de Montréal.

Photo : Radio-Canada / Violette Cantin

Nous avons recensé plus d’une dizaine de chirurgiens plasticiens québécois particulièrement actifs sur les réseaux sociaux. Sur leurs comptes Instagram et TikTok, ils publient toutes sortes de contenus mettant en vedette leur profession et leur clientèle. Ces publications sont souvent accompagnées du numéro de téléphone de leur clinique ainsi que d’une invitation à appeler pour prendre rendez-vous.

Cette présence accrue sur les réseaux sociaux se bâtit, comme l’explique le Dr Sinno. Par le passé, il a organisé à sa clinique une grande soirée d’ouverture à laquelle il a convié plusieurs influenceurs. Ils ont pris des vidéos, ont fait des tags, des likes. J’ai grandi de 10 000, 15 000 [abonnés] juste avec cette soirée.

Il précise qu’il ne les a pas rémunérés, puisqu’une telle pratique est interdite par le Collège des médecins.

Incontournables, les réseaux sociaux?

Les chirurgiens plasticiens québécois sont loin d’être les seuls à utiliser les réseaux sociaux. Le phénomène est observable ailleurs, comme aux États-Unis, où certains spécialistes cumulent parfois des millions d’abonnés sur TikTok et Instagram.

Le chirurgien Arie Benchetrit, basé dans la région de Montréal, affirme voir ça comme une forme de marketing essentielle pour rejoindre les groupes démographiques qui nous intéressent.

Selon lui, il est même difficile d’y échapper. Les patientes potentielles parlent de nous, comparent leurs chirurgies. Alors même indirectement, on est tous impliqués dans les réseaux sociaux.

Le Dr Benoit Leblanc, basé à Laval, partage lui aussi photos et vidéos à ses près de 15 000 abonnés sur Instagram.

C’est des choses qu’on a réussi à faire, des résultats qui sont atteignables. Est-ce que ça peut créer des complexes chez des gens? Il laisse sa question en suspens, avant de poursuivre : On peut prendre des patientes chez qui, même avec une anatomie normale, on ne pourra jamais atteindre d'aussi bons résultats qu'avec certaines autres patientes.

Une directive pas toujours respectée

Le Collège des médecins publie un guide d’exercice (Nouvelle fenêtre) pour encadrer la publicité et les déclarations publiques chez les médecins.

Nous avons constaté que le respect d’au moins l’une des directives contenues dans ce guide d’une quinzaine de pages peut fluctuer. Cette règle stipule que les médecins qui publient des photos de type avant et après un traitement sur un patient doivent obligatoirement y joindre un texte d'avertissement pour préciser que ces photos ne constituent aucunement une garantie de résultat.

On comptait 125 chirurgiens plasticiens dans la province en 2022. Sur les comptes Instagram de 13 praticiens que nous avons trouvés, qui publient tous plusieurs fois par semaine, sept d’entre eux comptaient au moins une publication de type avant/après qui ne comprenait pas le texte d’avertissement obligatoire.

Le Collège des médecins nous a précisé par écrit que les photos de type avant/après peuvent permettre d'informer le public sur la nature des services offerts dans une certaine mesure. Elles doivent toutefois respecter les modalités précisées dans le guide d’exercice.

Ça va aller de pire en pire

La Dre Geneviève Blackburn, à la différence de ses collègues interviewés, ne publie pratiquement pas de photos de ses clientes sur son compte Instagram. Cela s’explique entre autres par le fait qu’elle a peu de places pour de nouveaux patients et qu’elle ne tient pas à être devant la caméra, confie-t-elle. Elle pense néanmoins que certains de ses collègues peuvent être qualifiés de médecins-influenceurs.

Il y a une place pour tout ce qui est informatif, éducatif, croit celle qui travaille en médecine esthétique depuis 15 ans. Mais en médico-esthétique, il y a beaucoup de comptes, et ça va aller de pire en pire, avec beaucoup de filtres [appliqués sur les photos] et des avant/après qui sont vraiment irréalistes.

On arrive avec des patients en consultation qui ont des idées irréalistes, soit avec leur budget ou avec leur visage, dit-elle. Les patients ne sont pas capables d’avoir une bonne compréhension du vieillissement de leur propre visage ou de ce qu’on peut faire avec une certaine quantité de produits.

Le Collège des médecins concède que la question de l'utilisation de filtres n'est pas abordée de façon spécifique dans son guide, mais rappelle que le code de déontologie stipule qu’un médecin ne peut pas faire une publicité ou une représentation fausse, trompeuse ou incomplète.

Un phénomène qui soulève des questions

L'utilisation régulière des réseaux sociaux par certains médecins soulève des questions éthiques et déontologiques, selon l’éthicienne et professeure associée à l’École de santé publique de l’Université de Montréal Emmanuelle Marceau.

On voit qu'on fait mousser les avantages d'une chirurgie esthétique. [...] Est-ce que ces pratiques-là devraient être affichées comme ça sur le web?

Le professeur au Département de communication sociale et publique de l’Université du Québec à Montréal Camille Alloing constate pour sa part un nouveau mode de mise en visibilité des pratiques médicales. Il note au passage que ça peut banaliser les pratiques de chirurgie esthétique, qui ne sont pas si anodines que ça.

Ce qui n’est pas sans conséquences, ajoute-t-il. On a aujourd'hui pas mal d'études qui montrent que certains publics, en particulier adolescents et tant féminins que masculins, perçoivent une nouvelle norme de beauté et d'apparence au travers des publications qu'ils et qu'elles voient continuellement, particulièrement sur Instagram.

Ces vidéos-là de chirurgies esthétiques participent, encore une fois, à redéfinir ce que serait un beau nez, une belle poitrine. Il affirme sans hésiter qu'il constate un phénomène de médecins-influenceurs.

Le Collège des médecins préoccupé

M. Alloing propose une réflexion plus large sur la marchandisation à l’ère des médias sociaux.

Est-ce qu'il est déontologique ou pas, pour des chirurgiens esthétiques, d'utiliser des plateformes comme Instagram [...] pour transformer le corps de leurs patients et de leurs patientes en objets publicitaires?

À cette question, le Collège des médecins rétorque être préoccupé par la situation et invite toute personne pensant qu’un médecin manque à ses obligations déontologiques à faire un signalement via [son] site web.

Le président de l’Association des spécialistes en chirurgie plastique et esthétique du Québec, Éric Bensimon, a refusé notre demande d’entrevue, mais a réagi par écrit : Nous encourageons nos membres à se tenir à jour et à respecter les règles et lois propres à la pratique de la médecine et de la chirurgie plastique.

Vous souhaitez signaler une erreur?Écrivez-nous (Nouvelle fenêtre)

Vous voulez signaler un événement dont vous êtes témoin?Écrivez-nous en toute confidentialité (Nouvelle fenêtre)

Vous aimeriez en savoir plus sur le travail de journaliste?Consultez nos normes et pratiques journalistiques (Nouvelle fenêtre)

Chargement en cours

Infolettre Info nationale

Nouvelles, analyses, reportages : deux fois par jour, recevez l’essentiel de l’actualité.

Formulaire pour s’abonner à l’infolettre Info nationale.