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Cinq questions pour comprendre les négociations sur la pollution plastique

L'idée d'un traité international qui forcerait les pays à réduire la pollution et la production de plastique est loin de faire l'unanimité.

Un garçon marche au milieu de déchets, dont beaucoup sont en plastique, sur la plage de Badhwar Park, à Mumbai, en Inde, le 5 juin 2023.

Un garçon marche au milieu de déchets, dont beaucoup sont en plastique, sur la plage de Badhwar Park, à Mumbai, en Inde.

Photo : Associated Press / Rajanish Kakade

Après s'être quittés sans avoir trouvé de terrain d'entente à Nairobi, au Kenya, les délégués de 176 pays se rassembleront à Ottawa, du 23 au 29 avril, pour l'avant-dernière séance de négociations d'un traité international sur la pollution par le plastique. Faut-il bonifier les méthodes de recyclage ou réduire la production à la source? Les États ne sont pas du même avis.

Pourquoi s'attaquer à la pollution plastique?

Au même titre que les changements climatiques et l'effondrement de la biodiversité, la pollution généralisée arrive en tête de liste des crises mondiales qui préoccupent les pays membres des Nations unies.

La production de plastiques ne fait qu'augmenter – et la majeure partie de ceux-ci sont mal gérés ou finissent aux ordures. Sur les 9,2 milliards de tonnes de plastiques qui ont été produits entre 1950 et 2017, 7 milliards sont devenus des déchets dispersés d'un bout à l'autre de la planète.

Comme ils ne se dégradent pas naturellement dans l'environnement sans poser de risque, leur fragmentation s'échelonne sur des dizaines d'années et laisse dans la nature d'infimes particules, surnommées microplastiques et nanoplastiques, qui menacent notre santé.

Ces particules sont partout : dans l'air que nous respirons comme dans les aliments que nous consommons. Des études ont permis de constater la présence de ces microplastiques dans les poumons, le foie, les reins et la rate d'humains, et même dans le placenta.

Le plastique en chiffres

  • 400 millions de tonnes de plastiques sont produits chaque année sur la planète.
  • À l'échelle du globe, le taux de recyclage du plastique est en deçà de 10 %.
  • 98 % des articles de plastique à usage unique sont fabriqués à partir de combustibles fossiles ou de matières premières vierges.
  • Environ 36 % de tout le plastique produit est destiné à l’emballage.
  • De 23 à 37 millions de tonnes de plastique pourraient se déverser dans l’océan chaque année d’ici 2040.

Extrait, transformé, distribué, incinéré, jeté : tout au long de son cycle de vie, le plastique, fabriqué à partir de ressources fossiles, pollue et contribue ainsi à la crise de la biodiversité et au réchauffement de la planète.

Pratiquement tous les plastiques qu'on utilise à grande échelle produisent des gaz à effet de serre (GES) lorsqu'ils sont exposés aux rayons UV, explique Sarah-Jeanne Royer, océanographe affiliée au Center for Marine Debris Research de la Hawaii Pacific University.

La bouteille en plastique abandonnée à l'extérieur peut ainsi rejeter dans l'air ou dans l'eau du méthane, un GES au potentiel de réchauffement très puissant, de l'éthylène, de l'éthane, du propylène et du CO2.

Avec son équipe, cette scientifique spécialiste de la dégradation des plastiques a découvert que les plastiques qui émettent le plus de GES sont les polyéthylènes, soit ceux qui sont les plus produits, utilisés et rejetés dans l'environnement et qui entrent dans la composition d'articles à usage unique, précise-t-elle.

Types de plastiques et produits associés.

Types de plastiques et produits associés.

Photo : Programme des Nations unies pour l'environnement

D'ici 2060, la quantité de déchets plastiques devrait tripler sur le globe, dont la moitié risque de prendre le chemin de la décharge, tandis que moins du cinquième serait recyclé, selon l'OCDE.

Pour y remédier, les représentants de 176 pays ont convenu, en mars 2022, d'entreprendre des négociations afin de se doter d'un traité international juridiquement contraignant d'ici la fin de 2024. La dernière session se tiendra à Busan, en Corée du Sud, en novembre prochain.

Quels sont les facteurs qui y contribuent le plus?

Pour contrer la pollution par le plastique, les experts s'entendent pour dire qu'il faut agir sur deux fronts : la production massive de plastiques et la mauvaise gestion des déchets.

Surtout les produits jetables, les emballages, les textiles qu'on retrouve beaucoup dans la fast fashion; c'est cette utilisation exorbitante de plastiques dans de multiples facettes de nos vies, indique Sarah-Jeanne Royer.

Leur utilisation généralisée et leur élimination souvent irresponsable par les utilisateurs contribuent considérablement à la pollution.

Une citation de Sarah-Jeanne Royer, océanographe et spécialiste de la dégradation des plastiques

Rapidement consommés, la plupart des produits plastiques ne sont pas recyclés. Il y a énormément de pays où le recyclage n'est pas promu comme une solution pour réduire la pollution ou qui ont des systèmes de récupération inefficaces ou insuffisants, résume Mme Royer.

Si une attention particulière a été accordée aux plastiques dans l'océan au cours des trois premières sessions de pourparlers – à Punta del Este, en Uruguay; à Paris, en France; à Nairobi, au Kenya –, c'est parce qu'ils représentent 85 % des déchets en milieux marins et côtiers.

Faute d'infrastructures adéquates, ces déchets solides sont directement rejetés dans les cours d'eau ou finissent par trouver le chemin de l'océan, emportés par les marées ou les inondations.

Non seulement des morceaux de plastique se retrouvent dans le système digestif de poissons, de mammifères et d'oiseaux, mais ces produits peuvent aussi libérer des toxines, surtout s'ils sont rejetés par des industries polluantes et des compagnies pharmaceutiques.

Une équipe en bateau retire des eaux des filets de pêche et des produits de plastique abandonnés près de l'atoll de Kure, à Hawaï.

L'industrie de la pêche contribue à la pollution plastique dans l'océan. Ici, une équipe retire des eaux des filets de pêche et des produits de plastique abandonnés près de l'atoll de Kure, à Hawaï.

Photo : Associated Press / Matt Saunter

Les pratiques de pêche peuvent en outre être fort néfastes pour l'environnement. Filets, bouées, lignes de pêche et paniers à poissons sont abandonnés par les navires, qui sont nombreux à faire peu de cas de la gestion des déchets, selon Mme Royer.

Dans l'immense décharge flottante de plastique qui dérive dans le nord-est du Pacifique, l'équipe de l'océanographe a découvert en 2022 que 76 % à 85 % des déchets plus grands que 5 cm proviennent de l'industrie de la pêche.

L'agriculture génère quant à elle 12,5 millions de tonnes de plastique annuellement. Ces produits sont omniprésents, de la dispersion des pesticides à l'enrobage des semences. Les films de paillage, qui servent à couvrir le sol d'une culture, en particulier les productions maraîchères, représentent à eux seuls 50 % des plastiques employés en milieu agricole.

Où en sont les négociations?

D'après le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), la tendance peut encore être renversée, à condition que les pays et les entreprises entreprennent sans plus tarder un virage majeur. Dans un rapport de 2023, le PNUE avance que 80 % de cette pollution pourrait ainsi être réduite d'ici 2040.

C'est sur la forme que doit prendre ce virage majeur que les pays n'ont pas encore su trouver de consensus. Deux camps se livrent un bras de fer qui a compromis l'avancée des pourparlers depuis Nairobi.

D'un côté, une coalition de 65 pays, menée par la Norvège et le Rwanda, plaide pour l'instauration d'un traité contraignant permettant de réduire la pollution plastique d'ici 2040 en limitant de façon durable la consommation et la production de ces produits.

Ils misent notamment sur l'élimination des plastiques problématiques à l'aide d'interdictions et de restrictions ainsi que le suivi serré et transparent des étapes du cycle de vie des matières plastiques.

D'un autre côté, leur volonté de réduire la production se heurte aux intérêts de pays qui dépendent de la production pétrolière et pétrochimique, comme l'Iran, l'Arabie saoudite, la Russie et la Chine. À leurs yeux, l'accord mondial devrait surtout promouvoir de meilleures pratiques de recyclage et la réutilisation des plastiques.

Au lieu d'un instrument contraignant, ces pays veulent un traité qui s'appuierait sur des actions au niveau national; des gestes plutôt volontaires, analyse Karen Wirsig, responsable de campagne pour le plastique chez Environmental Defence, qui a assisté à la séance de négociations au Kenya.

Des dizaines de personnes manifestent, le poing levé, pancartes en l'air, dans les rues de Nairobi.

Des manifestants se sont réunis à l'occasion de la troisième session du Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique, à Nairobi, au Kenya, le 11 novembre 2023, pour exiger un traité fort et contraignant.

Photo : afp via getty images / LUIS TATO

Arrivés à Nairobi avec une proposition d'ébauche claire, les pays ont quitté l'Afrique avec un texte affaibli par une série de propositions qui dilueraient la portée du traité, selon Mme Wirsig. Ces mêmes pays ont aussi bloqué le travail qui devait d'ordinaire se poursuivre entre Nairobi et Ottawa.

Sans avoir pris formellement parti, les États-Unis, plus grand producteur de pétrole du monde, n'ont quant à eux pas joué un rôle très proactif dans les pourparlers jusqu'à présent, note-t-elle.

À quoi s'attendre de ce traité international?

Les pays seront-ils obligés de réduire la production de plastique à la source? C'est la grande question qui risque de diviser les États à Ottawa.

Le grand défi, le plus important, sera de garder cette question de réduction de la production sur la table.

Une citation de Karen Wirsig, responsable de campagne pour le plastique chez Environmental Defence

Sarah-Jeanne Royer, qui travaille au sein de l'organisation The Ocean Cleanup à ramasser les déchets plastiques sur les plages d'Hawaï, ne voit pas d'autre solution. Faire autrement reviendrait à vider inlassablement l'eau du bain alors que le robinet continue de se déverser en un flot ininterrompu, illustre-t-elle.

C'est la voie préconisée par les groupes de défense de l'environnement, qui souhaitent que le traité comprenne des engagements, noir sur blanc, pour contraindre les États et les industries à réduire la production. Karen Wirsig insiste : ces mesures doivent s'accompagner de cibles chiffrées et d'échéanciers clairs.

Des organisations, dont Greenpeace, ont appelé à réduire au moins 75 % de la production de plastiques d'ici 2040 afin de s'assurer de maintenir la hausse du réchauffement sous 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle, comme le veut l'Accord de Paris.

Bien que les pays soient nombreux à vouloir améliorer le taux de recyclage des matières, cette solution ne saurait, à elle seule, endiguer la pollution plastique, selon Karen Wirsig, qui y voit une fausse piste.

Défendue par l'industrie lors de grandes rencontres internationales, cette idée s'avère plutôt une porte de sortie pour lui permettre de continuer de produire tout en rejetant la responsabilité sur les consommateurs et les municipalités, d'après Mme Wirsig.

Un homme déplace des plastiques dans un entrepôt.

Une usine de recyclage de plastique à Motala, en Suède.

Photo : afp via getty images / JONATHAN NACKSTRAND

Il est en outre attendu que le traité soit assorti d'une liste de produits chimiques et de polymères dont l'usage sera restreint, voire banni.

Bien que des interdictions ou des taxes soient imposées sur des plastiques à usage unique dans plus de 120 pays, elles n'ont pas permis, jusqu'à présent, de réduire la pollution puisqu'elles ne représentent qu'une petite partie des déchets, selon l'OCDE.

Quelle position est défendue par le Canada?

À l'instar de la Norvège, le Canada, quatrième plus grand producteur de pétrole au monde, a été l'un des champions de la coalition des pays réclamant un haut niveau d'ambition, a pu observer Karen Wirsig lors du dernier tour de négociations.

Le ministre fédéral de l'Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, ne s'est pas opposé à l'instauration de mesures pour limiter la production de plastique. Il ne s'est toutefois pas prononcé officiellement en faveur de dispositions juridiquement contraignantes pour y arriver.

Steven Guilbeault, l'air sérieux, passe le cadre d'une porte. Il tient dans sa main une tasse réutilisable.

Le ministre canadien de l'Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, ne s'est pas prononcé officiellement en faveur de dispositions juridiquement contraignantes pour limiter la production de plastique.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

Selon un rapport d'Environmental Defence, le Canada n'est pas en voie d'atteindre son objectif zéro déchet de plastique à l'horizon 2030.

En 2019, le pays a produit 4,4 millions de tonnes de déchets plastiques, dont seulement 9 % ont été recyclés. Mais plutôt que d'acheminer les plastiques dans ses propres décharges, le Canada exporte ses déchets plastiques à l'extérieur du pays et prétend ainsi qu'ils sont bien traités et recyclés, fait remarquer Karen Wirsig.

Pris dans une querelle avec les Philippines en 2019, le pays avait dû rapatrier des dizaines de conteneurs de déchets plastiques. Il avait par la suite modifié sa réglementation pour mieux contrôler l'exportation de déchets.

Il s'est toutefois fait prendre, quelques années plus tard, à contrevenir à la Convention de Bâle, en vertu de laquelle il est tenu d'envoyer ses déchets seulement aux États membres. Or, sur les 183 000 tonnes de déchets plastiques exportés en 2022, 90 % avaient pris le chemin des États-Unis, l'un des rares pays à ne pas faire partie de la Convention.

Le Canada mise pour l'instant sur des mesures qui éliminent certains produits dangereux et sur des incitatifs au réemploi pour diminuer la demande pour les plastiques à usage unique, souligne Mme Wirsig.

Il continue néanmoins d'accorder des subventions à l'industrie. Le géant de l'agrochimique Dow Chemicals, qui investit des milliards de dollars pour tripler la capacité de production de son usine d’éthylène et de polyéthylène en Alberta, bénéficie de l'aide du fédéral. Ottawa a annoncé en novembre 2023 qu'elle lui accordait 400 millions de dollars en crédits d’impôt pour développer des technologies de captage et de stockage de carbone.

Le même mois, la Cour fédérale a invalidé la réglementation fédérale qui interdisait les articles en plastique à usage unique – une décision qu'Ottawa porte en appel.

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