Blessé depuis cinq ans, un travailleur attend toujours d’être indemnisé
Lorsque vient le temps de construire une terrasse, de démolir un cabanon ou de refaire une toiture, plusieurs personnes se tournent vers un ami ou la famille pour accomplir le boulot. Mais parfois, un accident peut transformer un simple coup de main... en véritable cauchemar. C’est ce qui est arrivé à Jean-Philippe Maltais.
Jean-Philippe Maltais a été hospitalisé après avoir été gravement blessé aux jambes.
Photo : Gracieuseté
À l'automne 2018, Jean-Philippe Maltais se rend chez une connaissance pour travailler sur le revêtement extérieur de sa maison. Comme le père de famille de 37 ans est briqueteur-maçon de métier, il a l’habitude de travailler en hauteur et de manipuler les outils et les matériaux.
Les travaux progressent et les deux hommes passent la journée sur un échafaudage. Soudain...CRAC! Sans avertissement, le madrier cède sous leurs pieds et les deux hommes font une chute de huit mètres. Tout devient noir.
Ça a ouvert comme une trappe en dessous des pieds, je n’ai rien vu venir. Je suis tombé de 30 pieds debout, sur les talons. Les deux pieds ont éclaté, pis ma colonne a écrasé.
Jean-Philippe Maltais s'est réveillé à l'hôpital et n'a aucun souvenir des heures qui ont suivi l'accident.
Jean-Philippe Maltais a été blessé aux deux jambes.
Photo : Gracieuseté
Il sera hospitalisé pendant trois semaines. Il entreprend la longue route des opérations et de la réadaptation. Mais en chemin, il devra aussi emprunter la route des procédures judiciaires.
Les dédales de la justice
Le fait que l'accident se soit déroulé dans un contexte non professionnel a des conséquences fâcheuses pour le Jeannois dans la trentaine.
Jean-Philippe Maltais n'est pas admissible à des réclamations de la Commission de la construction du Québec (CCQ) ni de la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), car il n'y a pas de contrat légal pour ce chantier.
Moi, c'est un coup de main. Donc, à mon avis, tu tombes sur les assurances responsabilité civile, que tout le monde possède habituellement
, explique-t-il.
À qui la faute?
Dans les semaines suivant l'accident, Jean-Philippe Maltais entreprend des démarches judiciaires pour être indemnisé.
La compagnie d'assurance du propriétaire de la résidence ouvre son enquête. Mais, qui est le véritable responsable de cette chute?
Les assurances qui couvrent le propriétaire de la résidence ne feront pas un chèque demain en se reconnaissant responsables. Ils vont analyser la situation et déterminer si leur assuré a commis une faute.
D’abord, les avocats des assurances estiment que puisque M. Maltais est briqueteur-maçon et qu'il a été sollicité pour ses compétences professionnelles, il aurait dû être en mesure de juger de la sécurité de l'échafaudage utilisé.
Les planches de l'échafaudage ont cédé sous les pieds des travailleurs.
Photo : Gracieuseté
Ensuite, le madrier en bois qui supportait les deux travailleurs avait-il un défaut de fabrication? La compagnie d'assurances décide alors de poursuivre la compagnie qui a vendu l'échafaudage au défendeur.
Les avocats de cette compagnie décident à leur tour de poursuivre l'entreprise qui a fabriqué le madrier défectueux. Et finalement, les avocats de cette entreprise estiment que la scierie qui a fourni le bois a aussi sa part de responsabilité.
C'est ce qu'on appelle une demande en garantie
, précise l’avocat spécialisé en responsabilité civile, Alain Béland. Nous lui avons demandé pourquoi M. Maltais doit subir les conséquences de la multiplication des procédures et des parties dans cette histoire alors qu'initialement, cette affaire était entre lui et le propriétaire de la maison.
C'est que le payeur ne sera peut-être pas celui qu'il envisageait au début, mais une personne appelée en garantie. De cette façon, on évite une multitude de procès pour le même sujet
, précise l’avocat.
Bref, quatre parties sont maintenant impliquées dans cette affaire de responsabilité qui s’éternise.
Je suis pogné dans ce processus-là… avec rien.
Entre-temps, Jean-Philippe Maltais doit patienter...sans aucune compensation financière depuis 2018.
Dans un cas comme ça, où il y a probablement des expertises médicales, des contre-expertises et des interrogatoires de toutes les parties impliquées. Chaque recours en garantie fait l'objet de son propre délai technique de six mois. Il y a aussi la pandémie à considérer dans l'équation. C'est navrant, mais ce n'est pas surprenant qu'on se ramasse dans des délais aussi longs
, ajoute Alain Béland.
Tous les intervenants interrogés dans ce dossier mentionnent qu'il existe encore une méconnaissance du public quant au rôle et aux façons de faire des compagnies d'assurances dans des réclamations en responsabilité civile. Alain Béland rappelle que ce n'est pas l'assuré qui décide s'il y aura ou non une indemnisation.
Se relever de la chute
La vie de Jean-Philippe Maltais a basculé depuis cette journée de septembre 2018.
La réadaptation est longue, il subit toujours des complications médicales qui découlent de cet accident et il ne sait toujours pas s'il pourra un jour réintégrer le marché du travail.
Jean-Philippe Maltais a dû faire beaucoup de réadaptation après le retrait de ses plâtres aux jambes.
Photo : Gracieuseté
Quand j'ai terminé la physiothérapie, j'étais assommé. J'avais toujours gardé espoir de reprendre le travail et de retrouver ma vie normale. Mais j'ai rapidement compris que ce ne serait plus jamais comme avant
, raconte-t-il.
Aujourd’hui, il se déplace avec une canne et il ne pourra plus jamais exercer sa profession de briqueteur-maçon.
À la marche, les douleurs commencent après 500 pieds. Au magasin avec ma fille, quand elle a regardé deux ou trois morceaux de linge, c’est déjà beaucoup pour moi. Elle est bonne parce que même moi je ne m’endurerais pas.
Malika, la fille de Jean-Philippe Maltais, avait 5 ans quand l'accident s'est produit.
Photo : Gracieuseté
Le père monoparental a dû se tourner vers les prestations d'assistance sociale et les derniers mois ont été durs sur le plan psychologique. Il admet qu'il a perdu confiance dans le système de justice et qu'il souhaite un dénouement rapide.
Jean-Philippe Maltais voulait aider un ami et finalement, sa générosité lui a coûté très cher. Il espère que son histoire servira de leçon à d'autres travailleurs généreux.
Écoutez l'entrevue intégrale diffusée à C'est jamais pareil