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Les pompiers sont morts « pour nous aider »

Vue d'ensemble de la salle d'audience du palais de justice de La Malbaie.

Le reportage de Camille Carpentier.

Photo : Radio-Canada / Sébastien Vachon

La première journée de l'enquête publique du Bureau du coroner sur la mort de Christopher et Régis Lavoie a laissé place à des témoignages émouvants, dont celui du couple que tentaient de secourir les deux pompiers volontaires lorsqu'ils ont été avalés par la rivière du Gouffre, le 1er mai 2023.

Linda Simard et son mari Yvan Lavoie étaient encerclés par l'eau lorsque les deux pompiers ont chaviré de leur embarcation de type Argo.

Lundi, ils ont été entendus par la coroner Andrée Kronström, qui préside l'enquête publique sur les décès survenus à Saint-Urbain, dans Charlevoix, lors des inondations de 2023.

D'importantes quantités de boue et de gravier laissée dans un champ par les inondations.

Linda Simard et son mari résidaient dans cette résidence, à quelques mètres d'un champ et de la rivière du Gouffre, le 1er mai 2023.

Photo : Radio-Canada / Pascal Poinlane

Linda Simard a témoigné de la vitesse à laquelle sa maison située près de la rivière a été encerclée par l'eau. Même chose pour le champ adjacent. Elle a vécu dans l'angoisse pendant près de 5 h, avant d'être évacuée par hélicoptère en fin de journée le 1er mai.

Ç'a dégénéré

Elle et son mari ont eu une première communication téléphonique avec la Municipalité vers midi. Le couple voulait à ce moment demeurer sur place.

J’étais sûr de moi que ça ne serait pas gros [...], a témoigné Yvan Lavoie. J’étais inquiet un peu, mais avec les photos que j’avais vu du terrain [de l'ancien propriétaire], je me suis dit qu'il n'y aurait pas de problème pour nous autres, a ajouté le témoin.

Or, vers 12 h 30, la situation aurait complètement changé. Le couple a alors demandé à être évacué devant la montée des eaux.

Un spa part à la dérive.

À 13h00, le couple demandait à être évacué.

Photo : Bureau du coroner du Québec

Ç’a dégénéré tellement vite, a témoigné Mme Simard. [...] C’est quand les arbres ont commencé à venir fesser dans notre maison, c’est là que je me suis rendue compte que ça n’allait pas bien. J’ai eu un petit moment de panique. J’ai dit "Yvan : il va falloir sortir d’ici".

Vers 13 h 05, le chef pompier de Saint-Urbain confirme que des pompiers sont en route avec un Argo pour les évacuer.

Un cabanon qui flotte.

Vers 13 h 30, l'eau avait complètement encerclé la résidence de Linda Simard et son mari Yvan Lavoie.

Photo : Bureau du coroner du Québec.

Des pompiers en difficulté

Selon Mme Simard, jamais les deux pompiers n’ont été en mesure de s'approcher de leur résidence à bord de leur embarcation.

Ils n’ont jamais été capables de s’en venir. Moi j’étais en panique. J’ai arrêté de regarder parce que je savais qu’ils s’en allaient [vers le] pont. Ils ont dérivé quasiment pendant 30 minutes. Ils n’ont jamais approché, ils n'ont jamais été capables, a-t-elle témoigné, les larmes aux yeux. L’Argo est toujours resté droit à nous autres, mais ils n’étaient pas capables d’avancer [...]. Je n’ai jamais été capable de les voir [...]. Je n’ai jamais vu les visages.

J’ai eu de la peine. On a demandé de l’aide et si j’avais su que ça prendrait une tournure semblable, on se serait fait dériver avec Linda avec la maison [...]. Il y a deux personnes qui sont mortes pour nous aider.

Une citation de Yvan Lavoie, évacué des inondations de mai 2023 à Saint-Urbain

Bien que le couple était conscient que sa résidence se trouvait en zone inondable, il affirme n'avoir jamais appréhendé une inondation d'une telle intensité.

Le couple a témoigné n'avoir jamais reçu de consigne, ni de la Municipalité ni de la sécurité publique, pour les forcer à évacuer avant que la situation ne dégénère. Ça s’est dit beaucoup qu’on en avait eu, mais jamais, explique Linda Simard. Je n’ai jamais entendu parler [d’un ordre] d’évacuation, ajoute son conjoint.

Linda Simard a été questionnée à savoir si elle aurait pu évacuer plus tôt sa résidence, avec du recul. Possiblement, après coup, c’est sûr qu’on aurait quitté, a-t-elle répondu.

Dans un court témoignage, la fille de Régis Lavoie, Marylou, a tenu à rendre hommage à son père en témoignant lundi. Mon père, c'était un homme au grand cœur, toujours joyeux, toujours à faire rire les gens. Il aurait donné tout à tout le monde avant sa propre vie. Il avait un cœur sur la main.

Marylou Lavoie dit avoir eu un dernier contact avec son père le matin du drame. Régis Lavoie terminait une nuit de travail à l'hôpital, selon elle. Il m’a appelé pour dire qu’il allait venir poser mes pneus d’été demain. Ç’a été la dernière fois que je lui ai parlé.

La SQ témoigne

Le premier témoin entendu par la coroner est le sergent Maxime Nolet, enquêteur des crimes majeurs pour la Sûreté du Québec. Il s'est rendu sur les lieux le 4 mai, soit au lendemain de la découverte des corps des pompiers, à la demande du Bureau du coroner.

Il a témoigné que les policiers de la SQ ont rencontré plusieurs témoins, dont le directeur des travaux publics de la Municipalité, Luc Dufour.

Un VTT sur un terrain vague.

Les policiers découvrent le corps de Régis Lavoie, le 3 mai 2023. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Cimon Leblanc

Le 1er mai, M. Dufour aurait eu des discussions avec Régis Lavoie concernant l'utilisation d'un VTT de type Argo pour mener une opération de sauvetage. Il a aussi confié aux policiers qu'il avait vu les deux pompiers sur le véhicule, mais qu'il n'était pas présent lorsqu'ils ont chaviré lors de leur intervention.

Les policiers ont également rencontré un ami de Régis Lavoie, Jeff Guay. Celui-ci a reçu un appel de Régis Lavoie, le 1er mai, au sujet des capacités d'un Argo à circuler dans l'eau. Jeff Guay a ensuite téléphoné au magasin Univers Traction pour se renseigner sur le sujet. On lui aurait dit qu'un Argo ça flotte, mais ça n'avance pas dans l'eau.

Rappelons qu'à la fin du mois de mars, la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) avait déjà conclu dans un rapport d’enquête que les deux pompiers morts lors des inondations n'avaient ni les compétences ni l'équipement nécessaire pour réaliser des sauvetages nautiques, ce qui les a mis en danger de noyade.

Des enregistrements diffusés

Des enregistrements de certains appels logés au 911 le 1er mai ont également été diffusés au jour un de l'enquête, de même que des vidéos de témoins.

Des images montrent notamment les deux pompiers circuler à bord de l'Argo en plein milieu d'un champ inondé. Le véhicule sera finalement récupéré, fortement endommagé, par les autorités le 22 mai et son moteur hors-bord le 22 juin.

Un Argo 8x8 Frontier 650 pris en photo. Il est plein de résidus et de terre en provenance de la rivière.

L'Argo qui a été utilisé. (Photo d'archives)

Photo : Sûreté du Québec

Une technicienne en identité judiciaire de la Sûreté du Québec, Brigitte Bédard, s'est rendue sur les lieux le 3 mai pour prendre des photos des corps et des endroits fréquentés par les pompiers lors de leur intervention, à la demande de la coroner.

Elle a notamment témoigné que les deux pompiers portaient leur uniforme lorsqu'ils ont été retrouvés, mais sans leurs bottes. Il s'agit d'un réflexe lorsqu'on tente de nager et d'améliorer sa mobilité, selon l'avocat qui représente la CNESST, qui agit comme personne intéressée dans l'enquête.

Lorsqu'ils ont été découverts, les deux hommes avaient le visage enflé, mais ne présentaient pas d'ecchymose visible. Christopher Lavoie avait un petit saignement au niveau du nez et de la bouche, selon Mme Bédard.

Un autre témoin, le plongeur de la Sûreté du Québec, Vincent Arsenault, a témoigné de la difficulté d'extirper les corps le 3 mai. Il aura fallu au-delà d'une heure et le travail de quatre sauveteurs pour extirper Régis Lavoie de la rivière. Le corps de Régis Lavoie a été retrouvé à environ 580 mètres de l'endroit où il a sombré. Cristopher Lavoie a été retrouvé environ 500 mètres plus loin.

Portrait de Christopher Lavoie.

Christopher Lavoie, 23 ans, un des pompiers volontaires décédés dans Charlevoix.

Photo : Facebook

Déclaration d'ouverture

La coroner Andrée Kronström y est allée de sa déclaration d'ouverture avant d'entreprendre les audiences. Au total, 32 témoins doivent être entendus dans le cadre de l'enquête, dont deux experts.

La coroner a d'abord expliqué qu'elle avait été rapidement informée du dossier, quelques heures après la découverte des corps, le 3 mai 2023. Me Kronström a accueilli les corps à la morgue. J’ai été imprégnée des décès dès le début, a-t-elle déclaré.

Madame la coroner parle devant l'audience, au palais de justice de La Malbaie.

La coroner explique la procédure à l'ouverture des audiences publiques sur la mort des pompiers volontaires.

Photo : Radio-Canada / Sébastien Vachon

La coroner a rappelé que l'enquête vise à faire des recommandations, et non pas à trouver un coupable. Ce n’est pas un procès. Ici, on n'est vraiment pas dans un processus d’accusation, mais dans un processus d’inquisition. Ces décès, et surtout à l'approche de la date anniversaire, ont bouleversé les familles. Ça les a tous bouleversés, mais ç’a été plus grand que les familles.

Elle a également demandé aux parties intéressées de faire preuve d'une certaine indulgence. On est dans une petite municipalité, il faut faire preuve de compassion et d'ouverture. Un décès, c’est la somme de plusieurs facteurs. [...] Quand un décès arrive, j’aime [l'illustrer en disant] que les planètes n’étaient pas bien alignées, ce matin-là, a déclaré la coroner.

C'est la quête de vérité qui représente la pierre angulaire de l'enquête et qui permettra à la coroner de faire des recommandations.

On veut savoir ce qui s’est vraiment passé. Moi, ce qui m’habite [...], c’est la quête de vérité. Il y a des choses qui se sont dites, est-ce que c’était vrai? On va entendre les témoins [...] sous serment et on va tenter de saisir ce qui s’est vraiment passé.

Une citation de Me Andrée Kronström, coroner

Quand on a la vérité, on est capable d’avancer, d’accepter et de mieux l'assimiler, ajoute-t-elle.

Me Andrée Kronström est également revenue sur la cause des décès, soit la noyade.

Dans le cas de Christopher Lavoie, l'autopsie a toutefois permis de déterminer qu'il souffrait d'un traumatisme crânien, ce qui a pu altérer sa conscience avant sa mort.

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