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Plaidoyer pour une génération rivée aux écrans

Une femme tenant un cellulaire à la main.

Emmanuelle Parent est directrice générale du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Les jeunes et le temps d’écran : un sujet qui préoccupe bien des parents... et des spécialistes qui ont un ton alarmiste lorsqu'ils en parlent. Si le temps passé devant l'écran est considéré comme un problème de santé publique, certains croient qu’il faut même des mesures législatives pour protéger les enfants et les tenir à distance de leur téléphone ou de leur tablette. Une chargée de cours de l’Université de Sherbrooke va à contre-courant et dit que rien ne sert de paniquer. Il est grand temps toutefois, selon Emmanuelle Parent, d’inclure les jeunes dans la discussion parce que c’est par eux que passe la solution.

Le discours des adultes, par rapport aux écrans, est un discours très inquiet et préoccupé, ce que je comprends parfaitement. Mais on dirait qu'on en parle entre adultes, comme si les jeunes n’étaient pas là.

Emmanuelle Parent, qui vient de publier Texter, publier, scroller chez Écosociété, détonne par rapport au discours ambiant sur la place qu’occupent les écrans dans la vie des jeunes. Sans nier que le temps d’utilisation est, dans bien des cas, excessif et nuisible à la santé, elle offre une lecture plus nuancée.

Avoir un discours positif, plutôt que paternaliste

On entend beaucoup dire : "votre génération est sacrifiée". Nous, on n'y croit pas du tout. Plutôt que d’avoir une attitude paternaliste et directive envers les jeunes et leur téléphone intelligent, Emmanuelle Parent propose une approche axée sur l’éducation et la collaboration.

Une jeune fille regarde son téléphone.

Les parents doivent s'intéresser davantage à ce que les jeunes font sur le numérique, croit Emmanuelle Parent.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

Inspirée de sa thèse de doctorat en communication, elle offre un éclairage sur l’univers dans lequel la génération du numérique baigne. Par le biais de témoignages recueillis auprès des utilisateurs, elle décode la culture autour des plateformes utilisées par les ados et les stratégies des géants du web pour les garder scotchés à leur écran.

Si on veut réfléchir à des solutions par rapport aux risques, il faut les intégrer dans la conversation.

Une citation de Emmanuelle Parent, dg du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne

Cette conversation, elle l’a couramment avec les adolescents. De retour du Salon du livre de Québec, elle raconte avec enthousiasme l’intérêt qu’elle remarque chez la jeune génération lorsque vient le temps d’aborder leurs histoires liées au numérique. Ils réfléchissent. Ils prennent le temps d’en discuter. On parle des réseaux sociaux, mais ça amène tout de suite dans des sujets plus profonds [...] comme l’estime de soi.

Pour aider à une prise de conscience et une responsabilisation des jeunes, elle a co-créé, il y a quelques années, le Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne (CIEL).

Des jeunes tiennent des téléphones intelligents.

« Si on en croit les inquiétudes d’autrefois, la télé aurait dû condamner les enfants à ne plus jamais jouer dehors; le lecteur de musique portable aurait encouragé la solitude et poussé les jeunes à arrêter d’assister à des concerts; le rock aurait dû transformer les ados les plus sages en criminels; et les jeux vidéo auraient mené toute une génération à avoir des comportements violents. » extrait de Texter, publier, scroller, écrit par Emmanuelle Parent.

Photo : Getty Images / Kerkez

Soutenu par les ministères de la Santé et de l’Éducation, l’organisme dont elle est la directrice générale va à la rencontre des jeunes dans les écoles. L’un des objectifs est d’expliquer clairement que l’objet qui les aspire comme un trou noir est justement conçu pour capter leur attention. L’idée est d’aider les jeunes à développer leur esprit critique.

On leur explique, dépendamment de leur âge et où ils sont rendus, comment fonctionnent les réseaux sociaux, comment fonctionnent la publicité, l'économie de l'attention et la recherche de données; comment est-ce que ça peut jouer sur notre système de récompense; pourquoi c'est difficile de décrocher.

La formation offerte par le CIEL insiste aussi sur l’importance de ne pas organiser sa vie autour de l’écran. Pour Emmanuelle Parent, qui a rencontré des centaines de jeunes depuis qu’elle s’intéresse à la question, l’enjeu principal se trouve là.

Où est-ce que tu as coupé ailleurs dans ta vie qui aurait pu être une activité plus valorisante? Pour moi, le risque est là. Négliger d'autres aspects de la vie qui pourraient nous faire vraiment du bien.

Une citation de Emmanuelle Parent, dg du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne

La chargée de cours à l'Université de Sherbrooke estime que les jeunes comprennent les enjeux puisqu’ils en vivent les contrecoups. Eux-mêmes nous disent : "J'ai supprimé l'application parce que j'étais tannée. Je trouve ça difficile de faire d'autres activités. Il y a des personnes que je trouve désagréables en ligne", donne-t-elle en exemple.

Un jeune tient son téléphone entre ses mains.

« Si on intervient de manière très autoritaire, sans explication, sans reconnaissance de tous les bénéfices que les jeunes vivent grâce au numérique, [ils n’écouteront pas] », croit Emmanuelle Parent.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

En s’adressant à leur intelligence, Emmanuelle Parent fait le pari qu’au bout du compte, ils feront la part des choses.

La peur des nouvelles technologies

La directrice du CIEL rappelle que, depuis toujours, l’arrivée des nouvelles technologies apporte avec elle un lot de préoccupations. Les premières télévisions dans les foyers, les lecteurs de musique portatifs, les jeux vidéo, la musique rock : les adultes se sont constamment inquiétés pour leurs enfants et les ont aussi parfois jugés pour leurs choix.

Chaque technologie qui arrive, qui est massivement adoptée par les jeunes, on a tendance à la percevoir comme une menace à leur innocence. On veut les protéger, on veut éviter qu'il y ait des conséquences graves, précise-t-elle.

Pour empêcher que le fossé entre les générations se creuse davantage, il faut maintenir une communication, plaide Emmanuelle Parent. Même si les contenus consommés par les jeunes et les échanges qu’ils ont nous semblent futiles, il est avisé de s’y intéresser, selon elle. « Il faut avoir la même attitude envers notre enfant de 14 ans avec le jeu Fortnite que lorsqu’on l’aidait à faire un casse-tête de 20 morceaux durant sa petite enfance », dit-elle. Cela veut donc dire poser des questions sur cet univers dans lequel le jeune se perd pendant des heures, sur les personnages, sur l'intérêt qu’il y trouve. C’est de cette façon qu’on pourra arriver à un échange constructif avec les enfants, croit-elle.

Il ne faut pas les abandonner, même si les enfants commencent à avoir une attitude émancipatrice. Ils le disent : "Mes parents ne savent même pas à quoi je joue. Ils s'en foutent". C'est triste d'entendre ça.

Une citation de Emmanuelle Parent, dg du Centre pour l’intelligence émotionnelle en ligne

Les réseaux sociaux, ça peut avoir du bon

Emmanuelle Parent pense que les réseaux sociaux apportent des éléments positifs dans la vie des jeunes. C’est important de les reconnaître, plaide-t-elle. Oui, le contenu peut à l’occasion être inapproprié, mais il est majoritairement positif à ses yeux. Il peut aussi s’avérer un instrument d'émancipation pour certains à la recherche d’une communauté d’esprit.

Une enfant regarde son téléphone.

Emmanuelle Parent affirme que la plupart des jeunes sont conscients des risques associés au numérique.

Photo : Radio-Canada / Réjean Blais

Elle cite des jeunes rencontrés au fil du temps. Moi, j'aime dessiner des mangas et je me fais niaiser pour ça à l'école, mais en ligne, il y a toute une communauté qui me supporte et qui m'encourage dans ce que je fais, lui a raconté l’un d’eux, par exemple. J'aime partager des photos de sport parce que, quand je joue bien, je suis fière de moi, lui a dit une autre. [Les réseaux sociaux] leur permettent de s'exprimer, de trouver un peu leur place dans le monde, insiste-t-elle

Les parents, montrez l'exemple!

Sans souhaiter culpabiliser qui que ce soit, Emmanuelle Parent croit que les adultes doivent aussi montrer l’exemple et être conséquents par rapport à leur propre utilisation et les consignes qu’ils donnent. Elle rappelle que les adultes peuvent aussi être absorbés par les outils numériques. Elle donne l’exemple de jeunes qui déplorent le manque d'attention à leur endroit lorsque leurs parents sont à leur tour aspiré par leur téléphone.

Une femme.

Emmanuelle Parent croit qu'il faut s'intéresser à ce que les jeunes font sur les réseaux sociaux.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

La directrice du CIEL refuse de poser les enfants en victimes des écrans, mais plutôt comme des êtres intelligents qui ont le pouvoir d’agir pour leur mieux-être. Elle croit que les parents sont capables de les guider, sans avoir besoin d’une intervention de l’État pour contraindre le temps d’utilisation.

Elle pense toutefois que les gouvernements ont le devoir d'intervenir à plusieurs niveaux. Je suis plus qu'ouverte à une législation qui encadre les plateformes, qui protège davantage notre vie privée et à la mise en place de campagnes gouvernementales sur les recommandations de la santé publique.

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