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Il y a 200 ans naissait la Neuvième de Beethoven

Portrait du compositeur Ludwig van Beethoven en train d'écrire sur une partition de musique.

La « Neuvième Symphonie » de Beethoven demeure l'œuvre la plus emblématique de son répertoire.

Photo : Wikipedia

Le 7 mai 1824, à Vienne, Ludwig van Beethoven assistait, trois ans avant sa mort, à la première interprétation de son œuvre la plus célèbre et la plus emblématique : la Symphonie no 9. Tel un testament, le compositeur y résume sa vie de créateur, ou, comme il aimait lui-même se qualifier, de « poète des sons ».

Cette œuvre – de son nom entier la Neuvième Symphonie avec chœur, opus 125 en ré mineur – a marqué l’histoire de la musique, d’abord par sa nouveauté formelle, soit l’adjonction de quatre solistes et d’une chorale mixte au grand orchestre, mais aussi par son message et son ambition philosophique. Par son humanisme revendiqué, elle a fait pendant deux siècles l’objet d’interprétations et d’appropriations les plus diverses.

L’Ode à la joie, cette finale signature du quatrième et dernier mouvement de la Neuvième Symphonie, depuis son introduction chaotique et mystérieuse jusqu’à l’euphorie finale de la phrase Tous les hommes deviennent frères, proclame un message optimiste, voire utopique, sur le devenir de l’humanité. Il s’agit d’une profession de foi idéaliste en la fraternité humaine et la (possible) réconciliation universelle.

Lithographie représentant le poète.

Portrait de Friederich von Schiller, auteur du poème « Ode à la joie »

Photo : Wikimedia Commons / Library of Congress Prints and Photographs Division Washington

La musique des grandes occasions

En 1989, peu après la chute du mur, le célèbre chef d’orchestre américain Leonard Bernstein, arrivé à la fin de sa vie, dirige la Neuvième à Berlin, avec son Ode à la joie finale, faisant remplacer dans le texte le mot joie par celui de liberté.

Elle est également jouée au gala d’ouverture de l’Exposition universelle de 1967 à Montréal.

En 1981, nouvellement élu président de la France, François Mitterrand défile devant le Panthéon à Paris au son de l’Ode à la joie.

Le 23 février 2023, à Varsovie, un an après l’invasion russe, un grand orchestre ukrainien joue la Neuvième, dans une ambiance de solidarité émue.

Tout cela souligne le côté philosophico-politique – au sens le plus large – d’une œuvre engagée socialement, politiquement, moralement, visant l’élévation de tous par l’art. Ode à la joie est une œuvre à portée universelle, mais dont l’universalité en a fait l’objet des récupérations les plus diverses et les plus contradictoires.

Page couverture des partitions de la symphonie, sur du vieux papier jauni.

Les partitions de la « Neuvième Symphonie » de Beethoven, exposées au musée Beethovenhaus à Baden, en Autriche.

Photo : Getty Images / AFP / Joe Klamar

Aucune pièce musicale n’aura autant été utilisée comme emblème, récupérée par des pouvoirs politiques de toutes tendances, y compris les pires, dans une espèce d’unanimité aux effets pervers.

Lénine, chef de la révolution russe, était un fan de Beethoven et de sa Neuvième. Certains nazis également : on l'a souvent jouée sous le régime d'Adolf Hitler.

La Rhodésie raciste des années 1970 (le futur Zimbabwe) avait récupéré l’Ode à la joie comme hymne national – en y plaquant un texte patriotique. L’Europe, quant à elle, en a adopté en 1972 une forme simplifiée, arrangée (assez platement) par le chef d’orchestre Herbert von Karajan, pour en faire un hymne sans paroles.

Mentionnons aussi les Japonais, qui vouent un véritable culte à cette œuvre qu’ils appellent Daiku (le Gros Neuf ou la Grande Neuvième). Toutes les fins d’année, on en compte les représentations par dizaines. La moindre ville moyenne veut sa production annuelle, avec son orchestre ou un orchestre en visite – mais en fournissant ses propres choristes, qui manient la langue de Schiller avec un bel accent japonais. On peut trouver sur Internet une interprétation japonaise avec… 10 000 choristes!

On le voit, dans la postérité de la Neuvième Symphonie, il y a de tout et son contraire.

Le reportage de Louis-Philippe Ouimet.

Une gestation interminable

Cette œuvre à la gestation exceptionnellement longue arrivera 12 ans après la Huitième Symphonie. Les huit premières avaient été écrites en précisément 12 ans, entre 1800 et 1812, entrecoupées bien sûr de nombreux chefs-d’œuvre dans une foule d’autres genres.

Il y avait songé toute sa vie et la voyait comme une synthèse de son art et de ses aspirations, comme la rencontre et la fusion de diverses idées musicales et poétiques sur trois décennies.

En 1792, année de son installation à Vienne, le jeune Beethoven, 22 ans, épris de réforme et de révolution, découvre avec enthousiasme le poème de Friedrich von Schiller (1759-1805), écrit sept ans plus tôt : Ode an die Freude (Ode à la joie).

Le jeune musicien, allumé par les idéaux humanistes des Lumières et par ce texte qui proclame que tous les êtres humains sont des frères, est fasciné. Il décide qu’il mettra un jour ce texte en musique.

Un vieux livre ouvert sur les partitions de la symphonie de Beethoven.

Un manuscrit tiré de la «Symphonie no 9» de Beethoven, exposé au Theatermusem à Vienne, en Autriche.

Photo : Getty Images / AFP / Joe Klamar

Quant au thème musical de l’Hymne à la joie, ou des variantes proches, il apparaît sous diverses formes à partir de 1795.

En 1808, Beethoven écrit, dirige et crée lui-même, au piano, la Fantaisie chorale opus 80, pour piano, chœur et orchestre. Œuvre relativement oubliée et peu jouée, elle est une véritable « esquisse orchestrale » du quatrième mouvement de la Neuvième, avec un thème ressemblant à s’y méprendre à celui de l’Ode à la joie et un texte un peu naïf célébrant lui aussi la joie, la nature et la beauté (signé par un certain C. Kuffner, Beethoven y aurait lui-même mis sa « patte littéraire »).

Il serait intéressant qu’un orchestre mette les deux œuvres dans un même programme, l’une après l’autre.

En 1817, sortant d’une léthargie de quelques années, il accepte l’idée de deux nouvelles symphonies – il n’en réalisera qu’une – et envisage de se rendre à Londres pour les créer, un voyage qu’il ne fera jamais. L’idée d’un finale chanté pour la Neuvième – et non strictement instrumental – ne s’impose que très tardivement, en 1823, alors qu’il vient de finir ses dernières grandes œuvres pour piano.

Peut-on l’imaginer? L’Hymne à la joie a failli être repoussée à une hypothétique et inexistante Dixième symphonie!

Un portrait de Beethoven, vers 1810.

Ludwig Van Beethoven au piano, en train de composer.

Photo : Getty Images / Three Lions

Une soirée difficile à organiser

L’historique première de la Neuvième, qui avait lieu ce fameux vendredi soir de mai 1824 dans le Kärtnertor Theater, une salle de concert viennoise aujourd’hui disparue, sera enfantée dans la douleur et les récriminations, en contradiction apparente avec le titre et le message profond de l’œuvre.

Ce sont des péripéties par rapport à la grandeur du sujet, mais tellement typiques de Beethoven et de ses innombrables difficultés.

Elles méritent d’être signalées, car elles résument toute une vie de sacrifice personnel, au service de la création et du bien supérieur. Mais aussi, elles font voir un homme qui n’a cessé de se battre pour l’autonomie de l’artiste, y compris matérielle.

Le dernier mouvement avait été achevé d’écrire quelque part fin février. Les négociations avec les propriétaires de salles sont difficiles. Trouver des copistes n’est pas évident et coûte cher.

Dessin représentant le théâtre au début du 20e siècle, avec des gens passant dans la rue.

Une représentation du Kärtnertor Theater, vers 1900

Photo : Wikimedia Commons / Karl Wenzel Zajicek

Le propriétaire du grand théâtre An der Wien – où avaient été créées certaines des symphonies précédentes de Beethoven – veut imposer son chef d’orchestre, ce que Beethoven refuse. Il se reporte sur la salle, plus petite, du Kärtnertor Theater, théâtre de la cour royale de Vienne, qui accepte les conditions du compositeur et la direction de Michael Umlauf.

Mais les autorités refusent sa requête d’augmenter les tarifs habituels pour compenser l’organisation d’une soirée aussi coûteuse, avec le prix des copistes, d'un orchestre augmenté et des choristes.

À l’époque, il n’existe pas d’orchestre symphonique permanent. Cette institution ne verra le jour en Europe que plus tard au XIXe siècle, précisément pour jouer du Beethoven. Chaque grande production nécessite donc des assemblages ad hoc à partir d’orchestres de chambre élargis, incluant des semi-professionnels.

Beethoven a beau être très connu, avoir un statut culturel de demi-dieu, d’âme de la nation et recevoir les éloges des critiques, l’argent ne suit pas forcément. Nous sommes en 1824, bien avant le marketing milliardaire lié au vedettariat. Beethoven n’est pas Céline Dion.

Succès de foule, échec financier

Il n’y aura que deux ou trois répétitions avec tout l’orchestre, et nul doute que le niveau technique de cette performance a été bien inférieur à ce que nous connaissons aujourd’hui.

N’empêche que, pour la première fois de l’histoire, l’Ode à la joie retentit devant un public. Le succès est énorme et la foule applaudit frénétiquement – y compris entre les mouvements.

Le chaos initial du premier mouvement; le deuxième mouvement, sautillant et ironique; le troisième, grave et méditatif. Et finalement le clou, la symphonie dans la symphonie : le finale avec chœurs, combinaison de toutes les formes et de tous les styles – fanfare, élégie, oratorio, double fugue, thème et variations, etc. Le tout se terminant dans une envolée frénétique, prestissimo. Joie, belle étincelle des dieux!

Un tableau représentant Beethoven.

Beethoven lors d'un concert d'un quatuor à cordes, vers 1810

Photo : Getty Images / Rischgitz

Beethoven est debout à côté du chef d’orchestre et n’entend pas les applaudissements. L’une des deux solistes, Karoline Unger, le prend par les épaules et le retourne pour qu’il voie la foule en délire. Ému, Beethoven s’incline.

Mais l’épilogue de la soirée est franchement triste. Les comptes sont rapidement faits et il reste au compositeur, tous frais soustraits, 120 florins, l’équivalent de deux ou trois mois de loyer.

Beethoven est abasourdi. Il vient de consacrer un an et demi de sa vie à écrire un immense chef-d’œuvre pour les siècles à venir. Une reprise du concert, le 23 mai, perdra même de l’argent. Au repas qui suit cette prestation, Beethoven explose et accuse tout le monde à table de l’avoir arnaqué.

Dans sa remarquable biographie succincte publiée en 2010 (Beethoven, Folio-Biographies), Bernard Fauconnier décrit la scène : Schindler [le secrétaire ad hoc de Beethoven] s’en va, puis la table se vide. Beethoven finit le dîner seul, avec Karl [son neveu]. Ainsi naquit douloureusement, dans l’amertume et la discorde, l’œuvre musicale la plus célèbre du monde, qui chante la fraternité de tous les hommes.

Une postérité immense

Des livres entiers ont été consacrés à l’immense postérité de la Neuvième Symphonie. Même si leurs œuvres ont également défié le temps, Bach et Mozart, avant lui, écrivaient essentiellement pour des occasions, pour l’immédiat, et le plus souvent sur commande. Beethoven, lui, ne s’était presque jamais laissé imposer de délais de production. Il écrivait sur ses impulsions intérieures, poussé par le principe de nécessité et avec des ambitions célestes.

La Neuvième est le symbole de l’appartenance à une même communauté spirituelle, écrit André Boucourechliev, auteur d’une biographie parue en 1963.

Vous ne savez pas quelles sensations nous, les compositeurs, éprouvons lorsque nous entendons derrière nous les lourds pas d’un géant comme Beethoven, dira Johannes Brahms, parfois considéré comme l’héritier symphonique du grand sourd.

En 1849 en Allemagne, l’anarchiste russe Mikhaïl Bakounine – qui voulait faire table rase du passé – entendit la Neuvième dirigée par Richard Wagner. Après l’audition, il s’écrie : Il y a une chose, une seule, qui mérite d’être sauvée des ruines du vieux monde : cette symphonie.

Comme les grands révolutionnaires français, Beethoven était persuadé qu’il travaillait pour la postérité. Il arrivait souvent que des musiciens se plaignent des difficultés de sa musique. Il leur répondait : Ne vous en faites pas, c’est de la musique pour l’avenir.

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