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Ce que vous ne savez pas sur Dick Pound

Ce que vous ne savez pas sur Dick Pound

Anecdotes surprenantes sur de grands moments du sport mondial.

Un texte de Jacinthe Taillon

Publié le 27 janvier 2024

Il s’est retrouvé au cœur d’investigations sportives qui ont marqué l’imaginaire. L’une d’elles a révélé au monde le scandale du dopage systémique russe. Ici, on est presque dans le roman policier, avec le lanceur d’alerte Grigory Rodchenkov dans le programme américain de protection des témoins.

Richard Dick Pound est-il inquiet pour sa sécurité? Pas du tout!

Si j'attrape un mauvais rhume, lance-t-il mi-farceur, on va accuser les Russes. Je vais donc vivre ma vie [normalement].

Je ne suis pas sûr que j'irais en Russie de nos jours… Je pense que j'obtiendrais facilement un visa d'entrée, ajoute-t-il en riant, mais ce ne serait pas si facile d'en sortir.

L’avocat montréalais a tout vécu dans ses 45 ans au Comité international olympique (CIO) jusqu’à sa retraite obligatoire à 80 ans, en 2022. Idem à l’Agence mondiale antidopage (AMA), dont il a été le président fondateur.

Il a bien voulu replonger dans ses souvenirs pour Podium, avec sa franchise et son franc-parler habituels. Il partage ici une série d’anecdotes tout aussi croustillantes que surprenantes sur son rôle dans des moments marquants du sport mondial des dernières décennies.

Voici ce que vous ne savez pas sur Dick Pound.

Il est assis à son bureau. On voit derrière lui des livres dans une grande bibliothèque.
Dick Pound Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

L’Agence mondiale antidopage née d’une gaffe
L’Agence mondiale antidopage née d’une gaffe

Le 8 juillet 1998, des douaniers français interpellent un véhicule de la formation Festina, qui doit participer trois jours plus tard au Tour de France. Le soigneur belge Willy Voet est arrêté et une quantité effarante de produits dopants – 235 ampoules d'érythropoïétine (EPO), 60 flacons de testostérone,120 capsules d’amphétamines et 82 solutions d’hormones de croissance et des corticoïdes – est saisie dans sa voiture.

C’est le début de l’affaire Festina, l’un des grands scandales de dopage ayant éclaboussé le monde du cyclisme.

Richard Pound se souvient de cet événement comme du premier à avoir réellement éveillé la communauté sportive internationale à la nécessité de mieux structurer la lutte contre le dopage.

Si les choses ne se produisaient pas en Europe, c’était comme si elles n’étaient pas vraiment arrivées. L’affaire [du Canadien] Ben Johnson [en 1988], aux Jeux de Séoul, n’était pas tangible pour la majorité des Européens. Mais là, ils ont dit : "Oh, mon Dieu! Si ça peut arriver au Tour de France, l’événement cycliste le plus important du monde, peut-être que ça pourrait se produire dans mon sport aussi." Certaines personnes se sont alors mises à y penser, explique-t-il.

Le tournant décisif dans la création de l’Agence mondiale antidopage (AMA), selon Pound, survient plus tard, à cause d’une erreur de Juan Antonio Samaranch. Le président du CIO expose sa vision personnelle de ce que constitue le dopage en oubliant qu’il n’est pas derrière des portes closes.

« Il était assis dans sa chambre d’hôtel à Lausanne et regardait les arrestations dans l’affaire Festina en secouant la tête. Il a dit quelque chose comme : "Pour moi, c’est seulement du dopage si l’on peut prouver que c’est dangereux pour la santé des athlètes." »

— Une citation de   Richard Pound, ancien membre du CIO et président fondateur de l'AMA

Une définition défendable, selon Pound, mais qui constitue un virage à 180 degrés de ce qu’il martelait publiquement à titre de président du CIO.

Pendant qu’il dit ceci, Samaranch oublie qu’il y a un journaliste [d’un quotidien espagnol, NDLR] dans la pièce à qui l’on a accordé la permission de le suivre pendant une journée pour dresser son portrait. Le reporter, qui n’a pas les mains liées [quant au contenu qu’il peut divulguer, NDLR], n’en croit pas ses oreilles, ajoute-t-il.

Sans surprise, le lendemain matin, le quotidien espagnol publie la nouvelle qu’il tient. S’ensuit une tempête médiatique.

Le président du CIO fait volte-face sur le dopage, cite Pound à titre d’exemple.

Il est debout à côté de sa bibliothèque.
Dick Pound dans sa bibliothèque, chez lui à Montréal Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Samaranch convoque une réunion d’urgence de la commission exécutive du CIO. On se regardait en se disant que la seule raison pour laquelle nous étions là, c’était parce qu’il s’était lui-même mis le pied dans la bouche! Et nous devions maintenant nous sortir de là, lance Dick Pound en rigolant.

L’avocat montréalais expose alors sa vision. Plusieurs problèmes doivent être pris en considération, selon lui. On ne peut se fier ni à l’Union cycliste internationale (UCI) ni à aucune autre fédération sportive pour garantir la propreté des athlètes, pas plus qu’aux pays pour suivre les règles. Le CIO est aussi jugé trop faible pour contrôler le mouvement olympique, rappelle-t-il, et ne peut donc être l’organisme responsable de l’antidopage mondial. Ce qu’il faut, suggère-t-il, c’est une organisation internationale indépendante.

« Les gens pensaient que c’était fou! Tous se demandaient comment s’y prendre. »

— Une citation de   Richard Pound

Il propose alors de s’inspirer d’un organisme phare du mouvement olympique, le Tribunal arbitral du sport (TAS). Il remplit déjà deux conditions essentielles en étant international et indépendant. De plus, sa structure de gouvernance offre une représentation égale au CIO, aux fédérations internationales, aux comités olympiques nationaux et aux athlètes.

Les gouvernements des pays doivent aussi être partie prenante, insiste Dick Pound, pour que la lutte antidopage soit renforcée par leur pouvoir judiciaire. Nous ne pouvons pas entrer dans les locaux. Nous ne pouvons pas obliger les gens à témoigner sous serment. Nous ne pouvons pas déclarer certaines drogues comme étant illégales, ce genre de choses. Donc, nous avons besoin d'eux.

Dick Pound pense aussi à donner une voix aux entraîneurs et à l’industrie pharmaceutique.

« Comme aucune bonne action ne reste impunie, ils m’ont dit : "C’est ton idée, dessine l’organigramme et nous tiendrons une conférence mondiale sur le dopage dans le sport." »

— Une citation de   Richard Pound

Juan Antonio Samaranch se juge mal placé dans les circonstances pour présider cette rencontre et se tourne vers Dick Pound. Ce dernier mène finalement les travaux qui conduiront à la création de l’Agence mondiale antidopage (AMA) le 10 novembre 1999.

Dick Pound en gros plan lors d'une conférence
Dick Pound a été président de l'Agence mondiale antidopage de 1999 à 2007 Photo : afp via getty images / LUKAS BARTH

Christiane Ayotte, directrice depuis 1991 du Laboratoire de contrôle du dopage sportif de l’INRS-Institut Armand-Frappier de Laval, se souvient de l’implication de Pound dans la mise en place l’AMA et le décrit comme un communicateur redoutable.

Les premières années de l'Agence mondiale antidopage étaient cruciales. Ça aurait pu foirer, comme on dit, mais Dick Pound prenait toute la place dans les médias. Il réussissait à passer un message de façon efficace, avec des lignes claires qui étaient répétées par la suite par la BBC, la CBC et par les grands réseaux américains et internationaux.

« C'était repris partout. Et même si, des fois, je ne pouvais pas être d'accord avec ce qu'il disait parce que c'était un peu simpliste d'un point de vue scientifique, je reconnaissais, sans doute aucun, la grande nécessité de ce porteur de ballon pour l'AMA qui a été très, très efficace. »

— Une citation de   Christiane Ayotte, directrice du Laboratoire de contrôle du dopage sportif de l’INRS-Institut Armand-Frappier de Laval

À travers les travaux de l’AMA, Christiane Ayotte a côtoyé un Dick Pound au sens de l’humour parfois déstabilisant, comme en témoigne cette photo où on le voit moins sérieux qu’à l’habitude.

Photo en noir et blanc dans laquelle on voit on homme donner un câlin à une femme
Dick Pound et Christiane Ayotte (au centre) Photo : fournie par Christiane Ayotte

Cette photo est intéressante et rigolote, car elle montre un autre aspect de Dick Pound, souligne-t-elle. Je me souviens d’un forum sur le dopage que nous coprésidions et où il fallait que je me retienne pour ne pas rire. J’étais très jeune et très sérieuse dans mon truc et il me passait des petites découpures qu’il avait prises dans The Gazette ou le Globe and Mail avec des blagues qui n’avaient aucun rapport avec le dopage.

Je trouvais ça assez déroutant, ajoute-t-elle en riant, mais il traînait ça dans ses poches. C’était particulièrement sympathique.

« Ça démontre aussi l’aisance qu’il avait, en tout temps, à gérer des réunions internationales. Il surfait. C’était une deuxième nature pour ce communicateur incroyable. »

— Une citation de   Christiane Ayotte

Richard Pound a été le premier président de l’Agence mondiale antidopage, de 1999 à 2007. Il y a ensuite occupé différentes fonctions jusqu’en 2020. Il a notamment supervisé le développement et la mise en œuvre du Code mondial antidopage.

En novembre 2021, il a reçu le titre honorifique de président fondateur de l’AMA.

Il tient ses lunettes dans ses mains, assis sur son divan.
Dick Pound Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Du ménage au CIO
Du ménage au CIO

Le scandale de Salt Lake City… boum!, lance Richard Pound en mimant une explosion avec ses bras.

C’est le coup de fil d’un journaliste du réseau ABC, Chris Vanocur, qui met le feu aux poudres en 1998. Pound, déjà très occupé avec la mise sur pied de l’Agence mondiale antidopage, s’en souvient très bien.

Le reporter me dit : "J'ai des informations selon lesquelles le comité d'appel d'offres de Salt Lake City a payé les droits de scolarité et de pension pour l'enfant de l’un de vos collègues [du CIO]. Savez-vous quelque chose à ce sujet?", raconte-t-il.

Au courant de rien, il réalise rapidement l’ampleur du problème. Lorsque le reporter lui demande ce qu’il doit faire de cette information, tous ses sens sont en alerte.

Bip! Bip! Bip!, dit-il, comme pour sonner l’alarme. Je suis peut-être né laid, mais pas stupide! lance-t-il au reporter. C’est ton histoire et tu en fais ce que tu veux.

Il semblait un peu déçu de recevoir cette réponse, mais je savais que c’était la bonne. J’imaginais les manchettes le lendemain si je lui avais demandé de camoufler cette histoire : "Un membre du CIO incite au secret."

Aussitôt l’appel terminé, Richard Pound communique avec Juan Antonio Samaranch pour le prévenir : Une catastrophe approche et on ferait mieux de s’y préparer.

Peu de temps après, pendant une réunion de la commission exécutive du CIO et alors que les membres viennent d’être mis au parfum des pots-de-vin, on convient de lancer une enquête.

Dick, tu présideras cette enquête, lui dit le patron du CIO. J’ai fait : "Oh, mon Dieu!", lâche-t-il. Nous avions le Congrès américain sur le dos… Tous les médias de la planète demandaient la démission de Samaranch et l'abolition du CIO.

« Tout le monde en dehors du CIO, les commanditaires, les diffuseurs et ainsi de suite me disaient : "Il [Samaranch] vient de vous tuer. Vous comprenez ça?" Et j'ai dit : "Eh bien, espérons que non." Mais même si c'est le résultat final, nous aurons au moins un CIO qui aura été nettoyé et qui sera en meilleure forme qu'il y a un an. »

— Une citation de   Richard Pound
Deux hommes discutent.
Le 3 février 1999, Dick Pound (à droite) discute avec le président du CIO, Juan Antonio Samaranch Photo : Getty Images / AFP/Pascal George

Avec l’aide d’un avocat américain, pour ne pas se tirer une balle dans le pied, Dick Pound se rend à Salt Lake City afin de mettre la main sur les dossiers prouvant les pots-de-vin.

« Il fallait qu’on les obtienne avant que le FBI ou que quelqu'un d'autre s'en mêle parce qu'ils se seraient assis dessus sans partager l’information. Donc, avant que quiconque ne se rende compte du risque, nous avions tout [rapatrié] à Lausanne. Nous avons pu examiner les documents très attentivement et mettre en place ces recommandations. »

— Une citation de   Richard Pound

Le CIO réclame ensuite l'expulsion de six de ses membres, accusés d'avoir reçu de l'argent du comité organisateur des JO de 2002 sous forme de paiements directs, d'accords d'achat de terres, d'aides à la scolarité, de dons pour des campagnes politiques ou de charité. En fin de compte, une dizaine partiront, en ajoutant les démissionnaires.

Un homme en complet près d'une porte en vitre dans laquelle on voit son reflet.
Dick Pound a été candidat malheureux à la présidence du CIO en 2001. Photo : Reuters / archives

Dick Pound n’y pensait pas au moment de tenter de sauver le CIO du naufrage, mais cette enquête, où il a dû faire le ménage au sein de sa propre organisation, lui a coûté la présidence du mouvement olympique, qu’il a convoitée trois ans plus tard en 2001.

L’avocat montréalais était le grand favori pour remplacer Juan Antonio Samaranch avant ce scandale. Il a finalement terminé 3e de la course qui a couronné le Belge Jacques Rogge.

J'ai décidé de me présenter parce que j'en savais plus sur tout ce que nous faisions que n'importe quel autre candidat. Si quelqu'un avait été meilleur que moi dans ce domaine, je ne me serais pas présenté. Ça n'avait pas tant d'importance pour moi, mais je me sentais investi d’une mission dans les circonstances, explique-t-il, sans regret.

Dick Pound a occupé plusieurs fonctions au CIO de 1978 à 2022. Il a entre autres été vice-président (1987-1991, 1996-2000) et candidat à la présidence en 2001.

Il reste membre honoraire de l'organisation, sans droit de vote.

Il est assis dans des escaliers
Dick Pound Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Redonner aux Canadiens l’or qui leur revient
Redonner aux Canadiens l’or qui leur revient

Richard Pound est également aux premières loges de deux grands scandales olympiques dans lesquels sont plongés, malgré eux, des athlètes canadiens : la nageuse artistique Sylvie Fréchette et les patineurs artistiques Jamie Salé et David Pelletier.

Lorsqu’il entend parler de l’histoire de Sylvie Fréchette pour la première fois pendant les JO de 1992, il ne se doute pas de l’ampleur qu’elle prendrait.

J’étais assis à Barcelone avec le chef de mission de l’équipe canadienne, Ken Read, et je lui avais demandé comment se passaient les choses. Il m’avait répondu : ”Il y a un petit pépin en nage synchronisée, mais ça va se régler”, se souvient-il.

C’est tout le contraire, constate-t-il à son retour en sol canadien. Il se souvient d’avoir été montré du doigt par certains médias qui se demandaient : Où était Pound dans tout ça? Pourquoi n’est-il pas intervenu?

Eh bien, je n’étais pas au courant des détails et le chef de mission m’avait dit que la situation était maîtrisée, explique-t-il.

Un homme écoute une femme que l'on voit de dos.
Dick Pound est intervenu pour permettre à Sylvie Fréchette d'obtenir sa médaille d'or des Jeux olympiques de Barcelone. Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

En apprenant les faits, il est soufflé par le conflit d’intérêts dans lequel s’est placée l’arbitre en chef, une Américaine, qui a refusé de corriger une erreur de pointage commise et signalée immédiatement par une juge brésilienne. Cette injustice a permis de couronner la nageuse américaine Kristen Babb-Sprague au détriment de Sylvie Fréchette, reléguée au deuxième rang.

« Le pointage est resté. Il y a eu un appel contre la décision de l’arbitre en chef. Et la personne qui a entendu l’appel est cette même arbitre en chef! Et l’athlète qui a bénéficié de cette erreur était… une Américaine. Tout ça était très laid. »

— Une citation de   Richard Pound
Une nageuse artistique sort de l'eau.
Sylvie Fréchette aux Jeux olympiques de Barcelone en 1992 Photo : La Presse canadienne / Dave Buston

Richard Pound raconte avoir ensuite interpellé le président de la Fédération internationale de natation (FINA) de l’époque, Mustapha Larfaoui, et le président du CIO, Juan Antonio Samaranch, pour trouver une solution.

Ce n’était pas la faute de la nageuse américaine, mais la personne qui aurait dû gagner n’avait pas gagné, s’insurge-t-il. Et tout le monde tentait de s’en laver les mains. Larfaoui disait que ça relevait du CIO puisque c'étaient les Jeux olympiques et que la FINA n’était pas responsable. Vraiment? C’est pourtant votre arbitre et votre juge. D’un autre côté, Samaranch disait qu’il s’agissait de l’affaire de la Fédération internationale.

Tout le monde se renvoyait la balle, selon Pound, et il n’était pas question pour lui de la laisser filer. La solution évidente n’est pas de dépouiller Kristen Babb-Sprague, mais bien de remettre son dû à Sylvie Fréchette et d’attribuer une deuxième médaille d’or à cette épreuve.

Finalement, il leur a fallu plus d’un an [16 mois et 9 jours, NDLR] avant d’envoyer une médaille à Montréal pour qu’on la remette à Sylvie. C’était le mieux qu’on avait pu faire dans les circonstances, précise Pound.

Sylvie Fréchette n’oubliera jamais ce qu’il a fait pour elle.

Il y a beaucoup de gens qui sont passés dans ma vie, mais des personnes clés, pas tant que ça. Dick Pound en fait partie même si je ne le connais pas beaucoup. Il y a des gens qui sont là dans les bons moments et on n’en est même pas conscient.

« Ce qu’il a fait pour moi, c’est plus grand que ce que tous mes coachs ont pu faire dans ma carrière. »

— Une citation de   Sylvie Fréchette, championne olympique de natation artistique en 1992

La cérémonie spéciale a lieu en décembre 1993 dans un Forum de Montréal plein à craquer. C’est Richard Pound lui-même qui remet la médaille d’or à Sylvie Fréchette.

Ma perception est que c’est un homme droit, dit l’ancienne nageuse. Il fait les choses par conviction. Il a changé le cours de l’histoire olympique, de la loi. J’étais un peu comme le prétexte, mais ça a changé ma vie tout ça.

« Il est comme le gardien du phare. S’il y a quelque chose de plus solide que le roc, c’est Dick Pound. »

— Une citation de   Sylvie Fréchette

Cette décision inédite du CIO crée un précédent qui, neuf ans plus tard, va sauver Jamie Salé et David Pelletier d’une immense injustice aux Jeux de Salt Lake City. Les patineurs artistiques canadiens sont victimes d’un complot entre les fédérations russe et française visant à favoriser les Russes en couple, en échange d’une faveur pour les Français en danse. Le duo Berezhnaya/Sikharulidze l’emporte malgré une erreur majeure et une performance sans faille de ses adversaires canadiens. La tricherie est cependant rapidement admise par la juge française Marie-Reine Le Gougne, dont la note a fait la différence.

Le CIO aurait pu simplement annuler le pointage de la Française, qui affirmait avoir été forcée de mettre les Russes en avance, et le remplacer par celui d’un juge substitut pour corriger l'injustice. Mais ils ne voulaient pas faire ça, car ce n’était pas la faute des athlètes russes, se remémore Dick Pound.

Ce dernier interpelle le président du Comité international olympique d’alors, Jacques Rogge. Ne les (les Russes) laissez pas quitter le pays avant que la situation n’ait été corrigée, avait-il insisté, sinon il sera trop tard. Tout le monde savait que les Russes n’avaient pas gagné.

La seule solution envisagée, indique Pound, est la même que pour Sylvie Fréchette. Il y aura quatre champions olympiques.

Quatre patineurs montrent fièrement leur médaille d'or.
Les Canadiens David Pelletier et Jamie Salé (à gauche) et les Russes Elena Berezhnaya et Anton Sikharulidze (à droite) se sont partagé l'or aux Jeux de Salt Lake City en 2002 Photo : Getty Images / Bongarts/Henri Szwarc

Six jours plus tard, une deuxième cérémonie est organisée lors de laquelle Jamie Salé et David Pelletier reçoivent à leur tour leur médaille d’or.

« Nous avons réussi à obtenir leur médaille d’or avant la fin des Jeux de Salt Lake City. Je crois qu’ils [Berezhnava et Sikharulidze] étaient soulagés, car eux aussi savaient qu’ils n’avaient pas gagné. Les officiels russes étaient furieux, mais qui s’inquiètent d’eux? »

— Une citation de   Richard Pound

En 2005, le magazine Time a nommé Dick Pound l’une des 100 personnes les plus influentes au monde.

Un homme en costume sur son balcon.
Dick Pound Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Le sport pour sauver le monde
Le sport pour sauver le monde

Richard Pound ne se fait pas d’illusions. La situation géopolitique actuelle est très tendue et le monde n’est pas à l’abri d’une troisième guerre mondiale, croit-il.

Je pense qu'il faut s'inquiéter de toutes les relations internationales de nos jours. Tout est tellement polarisé, dit-il. Cela pourrait arriver si quelqu’un fait une erreur. On se demande si Poutine ne pense pas à… L’expression est destruction mutuelle assurée. C’est ce qu’est une guerre nucléaire et le Kremlin ne serait pas épargné, c’est sûr. Donc, dans ce sens, nous [les membres du CIO] sommes inquiets à ce sujet.

Peut-être, espère Pound, que le sport peut montrer la voie et apaiser les tensions, comme il a contribué à le faire avec l'apartheid.

C'est l'expulsion du Comité national olympique sud-africain par le CIO en 1970 qui a donné le véritable élan à la lutte contre l'apartheid, affirme-t-il. Bien sûr, il y a eu des sanctions gouvernementales, des prêts qui n'ont pas été accordés et tout ce genre de choses. Mais tout cela pouvait s’expliquer. Ce n'est que de la politique.

« Mais ils [les Blancs partisans de la ségrégation raciale] n'ont jamais eu de réponse à la question : "Pourquoi les gens ne veulent-ils pas jouer avec nous?" L’Afrique du Sud est un pays qui aime le sport. Et finalement, ils ont compris. »

— Une citation de   Richard Pound

Richard Pound confie qu’il a lui-même suggéré à Juan Antonio Samaranch d’aborder le problème de l’apartheid de manière positive. De s’en servir pour faire bouger les choses plutôt que d’attendre que les gouvernements agissent, ce en quoi il avait peu confiance. Il établit un lien direct entre la réintégration du Comité olympique sud-africain par le CIO en 1991 et la levée des sanctions économiques américaines imposées à l'Afrique du Sud en 1986.

George H.W. Bush avait attendu une journée pour voir quelle était la réaction du monde à la levée du boycottage olympique, raconte-t-il. Il a vu qu'elle était très favorable et pouf, il a levé l'ensemble des sanctions américaines contre l'Afrique du Sud! Avant très longtemps, Nelson Mandela devenait le président de la République d'Afrique du Sud. Donc, ce sont des vignettes intéressantes montrant ce qui est possible si vous avez le bon type de leadership.

Il réfléchit, assis sur une chaise dans son bureau.
Le sport doit être rassembleur, croit Dick Pound. Photo : Radio-Canada / Arianne Bergeron

Le sport doit être rassembleur et porteur d’espoir, selon la philosophie de Pound, lui-même athlète aux Jeux de Rome en 1960, en natation, en pleine guerre froide. Il se souvient de ses adversaires soviétiques, qui étaient plus humains que ce qu’il imaginait.

Nous avions des portraits imaginaires préconçus de ces adversaires. Mais ils étaient tous aussi nerveux que nous et le 100 m était tout aussi long pour le Russe que pour moi. C'était une sorte d'ouverture, une prise de conscience pour moi de l'impact positif que peut avoir le sport, se rappelle-t-il.

« La beauté des Jeux olympiques, c'est que les athlètes se réunissent. Et même si la trêve ne dure qu'un mois, c'est la paix. Vous vivez ensemble, vous travaillez ensemble, vous mangez ensemble, vous vous entraînez ensemble, vous compétitionnez ensemble. Et ça marche plutôt bien. »

— Une citation de   Richard Pound

En plus de ses mémoires, Dick Pound travaille actuellement à la rédaction d’un livre sur des Jeux olympiques qui ont eu lieu à Montréal en 1844, avant la modernisation amorcée par Pierre de Coubertin.

Photos d'entête et des quatre chapitres par Arianne Bergeron/Radio-Canada

Un document réalisé par Radio-Canada Sports

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