Hockeyeurs accusés d’agression sexuelle : pourquoi la police donne-t-elle peu de détails?
La tenue d'un procès équitable ne doit pas être compromise par l'appétit du public à obtenir plus d'informations.
Le chef de police Thai Truong a présenté ses excuses à la présumée victime au nom du corps policier.
Photo : La Presse canadienne / Geoff Robins
Lors d'une conférence de presse très attendue lundi, le chef du service de police de London Thai Truong et une détective de la section des agressions sexuelles ont répondu aux questions des journalistes sur les accusations d'agression sexuelle contre cinq membres de l'équipe canadienne de hockey junior de 2018.
Pendant 31 minutes et 45 secondes, ils ont été soumis à des questions sur les preuves, sur les détails d'une première enquête clôturée sans inculpation en 2019 et sur le sort des joueurs restants qui ont été cités dans un procès civil, mais non inculpés dans l'affaire pénale.
Les termes « je ne peux pas divulguer de détails à ce sujet », « je ne vais pas commenter cela » et « je ne peux fournir aucun détail » ont été répétés à maintes reprises.
Les policiers ont donné aux journalistes des versions légèrement différentes de cette même réponse 21 fois, soit environ une fois toutes les 90 secondes. J'apprécie vraiment cette question, mais je dois vous dire que je ne peux pas y répondre... C'est complètement inapproprié pour moi de parler de ces détails en ce moment
, a déclaré M. Truong, visiblement conscient de la frustration que généraient ses non-réponses.
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Les experts juridiques et en communications qui ont parlé à CBC News estiment qu'il est compréhensible que le public ait développé un fort appétit pour les détails des enquêtes policières actives, en particulier les cas très médiatisés comme celui impliquant les joueurs de hockey. Ils soulignent toutefois que la police au Canada a tendance à faire preuve de plus de prudence que nécessaire lorsqu’il s’agit de de protéger l’intégrité du processus judiciaire.
Ça signifie que le grand public doit attendre un peu plus longtemps pour connaître tous les détails, ce qui n'est pas l'idéal. Mais c'est bien mieux que l'alternative, qui compromet l'équité du procès
, explique David Butt, un avocat de Toronto qui n'est pas partie prenante au dossier.
La transparence, un élément essentiel
Josh Greenberg, un professeur de communications et d'études médiatiques à l'Université Carleton, avance que la police de London en dit juste assez pour satisfaire l'intérêt du public.
Il rappelle que les procès médiatisés mettent à l’épreuve la confiance du public envers la police, et que les forces de l'ordre ont l’habitude de garder trop de choses pour eux.
La transparence ne signifie pas nécessairement de toujours partager tout ce que vous savez dès que vous le savez. Ça signifie que s'il y a des limites à ce qui peut être partagé publiquement à un moment donné, vous devez être franc, ouvert et honnête sur les raisons afin qu'il n'y ait pas d'impression que quelque chose est caché
, indique-t-il.
Rappelons que la police de London a fermé une première enquête sur l'affaire en 2019 sans accusation, après qu'une femme eut déposé une plainte en juin 2018. L'affaire a été rouverte en 2022 lorsque le public a appris que Hockey Canada avait réglé une poursuite au civil de 3,5 millions de dollars. La nouvelle avait déclenché une polémique nationale sur la culture au sein de l'une des institutions sportives les plus prisées du pays.
Dillon Dubé, Alex Formenton, Carter Hart, Michael McLeod et Cal Foote sont tous accusés d'agression sexuelle dans ce dossier.
Photo : Getty Images
Il est rapidement devenu clair que l'objectif principal de M. Truong lors de cette conférence de presse était de présenter des excuses à la plaignante en raison de l'énorme délai entre la plainte et le dépôt des accusations, et non de divulguer les détails de l'affaire.
Au Canada, c'est le travail du procureur, et non celui d'un policier, de présenter les preuves dans une affaire pénale devant le tribunal. Si la police présentait son cas au public avant un procès, les propos tenus pourraient compromettre la procédure et ouvrir la porte à un appel ultérieur
, précise M. Butt.
Certains éléments de preuve pourraient être jugés irrecevables au procès, puisque les avocats de la défense n'ont pas la possibilité de contester ce qui est présenté dans les conférences de presse. La police pourrait aussi être accusée d'influer sur le dénouement du procès, surtout si des témoins entendent des informations qui modifieraient leur témoignage.
Toutes ces choses permettraient aux avocats de la défense de prétendre que le procès était inéquitable dès le départ ou de créer des motifs d'appel.
L'inquiétude est 100 fois plus grande lorsqu'il s'agit d'une affaire aussi médiatisée
, estime l'ancien procureur fédéral de la Couronne, Rob Dhanu, qui est maintenant avocat en droit pénal à Abbotsford, en Colombie-Britannique.
Une approche « du far west » aux États-Unis
Les habitudes de communication du système judiciaire canadien sont particulièrement opaques par rapport à celles de son plus proche voisin. Aux États-Unis, la police et les procureurs discutent souvent des détails complexes des enquêtes dans les médias, bien avant qu'un suspect soit jugé.
M. Dhanu explique que la police et les procureurs américains ont tendance à partager beaucoup plus d'informations parce que les poursuites peuvent être plus politiques au sud de la frontière.
Nous sommes plus prudents en tant que culture, en tant que système de justice en comparaison avec ce que nous considérons comme une approche du far west aux États-Unis. Là-bas, les shérifs tiennent des conférences de presse pour couvrir un suspect de goudron avant de lui coller des plumes plutôt que d'attendre la fin du procès
, raconte-t-il.
Au Canada, la plupart des procureurs se soucient uniquement de protéger la vie privée du plaignant et le droit de l'accusé à un procès équitable. C'est le type de système que vous souhaitez. Il est tout à fait compréhensible que le citoyen moyen veuille en savoir plus sur cette affaire. Il y a un énorme appétit pour cette affaire. Mais nous devons garder à l'esprit la présomption d'innocence. Et si c'était l'un d'entre nous qui était impliqué? Et si c'était un parent ou membre de la famille?
conclut M. Dhanu.
Avec les informations de CBC News