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ChroniqueMLB : le plus puissant syndicat du sport professionnel s’automutile

Bo Bichette s'élance pour un circuit dans un match des Blue Jays à Toronto.

La structure de l'Association des joueurs du Baseball majeur, le syndicat le plus puissant dans le monde du sport, est ébranlée.

Photo : Getty Images / Cole Burston

Quand des employés négocient collectivement leurs conditions de travail, leur seule chance de réussite repose sur la solidarité. Pour les négociateurs syndicaux, la seule façon de préserver cette solidarité consiste à comprendre les revendications de leurs membres et à les informer clairement de la tournure des discussions.

En 2020, le directeur général de l’Association des joueurs de la NFL, DeMaurice Smith, s’est fait rouler dans la farine.

En quête du plus lucratif contrat de télévision de tous les temps, les propriétaires souhaitaient faire passer le calendrier habituel de 16 à 17 matchs et admettre davantage d’équipes en éliminatoires. Pour les joueurs, dont les carrières étaient déjà les plus courtes de l’ensemble du sport professionnel, il s’agissait de concessions absolument majeures. Presque impensables, en fait.

Les propriétaires ont toutefois réussi leur coup en divisant les joueurs. Ils ont saupoudré de maigres augmentations aux quelques 60 % de joueurs qui touchaient le salaire minimum et il ont fait passer de 47 % à 48 % le pourcentage de revenus annuels partagé avec les joueurs.

Même si le comité exécutif des joueurs s’était prononcé contre cette entente clivante, DeMaurice Smith a forcé la tenue d’un vote auprès de l’ensemble des quelque 2000 joueurs. Et ce qui devait arriver arriva : les demandes des propriétaires ont été acceptées par une infime majorité de seulement 65 membres.

Pour les propriétaires, qui venaient de troquer des miroirs contre des fourrures, ce fut une victoire totale.

Et pour cette raison, DeMaurice Smith a depuis été évincé de son poste de directeur général de l’Association des joueurs.

En conférence de presse, il s'adresse aux journalistes.

DeMaurice Smith, ex-directeur général de l'Association des joueurs de la NFL

Photo : The Associated Press / Chris Carlson

***

Maintenant, c’est au sein de l’Association des joueurs de la MLB que la structure syndicale est ébranlée. Cette fois, les propriétaires n’y sont pour rien. Ce sont des groupes rivaux de joueurs et leurs agents qui tentent de s’entredévorer pour prendre les commandes.

C’est la première fois que le syndicat le plus puissant du sport professionnel nord-américain (et peut-être le plus puissant, tous secteurs d’activités confondus) apparaît aussi vulnérable.

Et ça n’augure rien de bon.

En 2022, les joueurs de la MLB ont conclu une convention collective plutôt avantageuse comparativement aux ententes défavorables négociées en 2012 et en 2017.

De façon générale, le salaire minimum a été augmenté et le plafond de dépenses (avant l’instauration d’une taxe de luxe) a été rehaussé pour inciter les propriétaires à investir davantage dans leur équipe. Quelques dizaines de millions ont aussi été mis de côté pour mieux rémunérer les jeunes supervedettes qui ne bénéficient pas encore du droit à l’arbitrage, et une loterie a été instaurée au repêchage pour décourager les équipes de couler volontairement au classement.

Cela dit, ces quelques gains faits par les joueurs n’ont rien coûté aux propriétaires parce que les joueurs leurs ont offert de nouvelles sources de revenus. Les joueurs ont notamment accepté qu’un plus grand nombre d’équipes soient admises en séries et que des publicités apparaissent sur leurs uniformes et sur leurs casques.

Cette entente a été entérinée par 26 des 38 représentants des joueurs. Mais remarquablement, elle a été refusée par les huit joueurs qui étaient membres du comité de négociation et qui avaient la meilleure connaissance du dossier.

***

Or, lundi dernier, un important groupe de joueurs a réclamé la tête de celui qui pilotait les dernières négociations, Bruce Meyer.

Reconnu comme un négociateur expérimenté et particulièrement coriace, Meyer est le bras droit du directeur exécutif de l’AJMLB, Tony Clark.

Le portrait de l’AJMLB a beaucoup changé depuis deux ans. En plus de conclure un nouveau contrat de travail en 2022, l’AJMLB est parvenue à syndiquer les joueurs des ligues mineures.

Les conditions de travail des joueurs des ligues mineures, qui étaient auparavant minables, se sont considérablement améliorées dès la signature d’un premier contrat de travail. Les propriétaires ont même versé une compensation de 185 millions pour régler une poursuite les accusant d’avoir précédemment violé les normes du travail américaines.

Ce processus de syndicalisation fait en sorte que 34 nouveaux représentants des joueurs se sont joints au conseil de 38 joueurs auquel devaient auparavant répondre les dirigeants de l’AJMLB.

Si l’on tient compte du fait qu’environ 35 % des joueurs de la MLB touchent le salaire minimum, cela signifie aussi qu’un peu comme dans la NFL, une très large proportion des membres de l’AJMLB vivent dans un univers totalement différent de celui des plus haut salariés du baseball. Bref, c’est un peu comme si Céline Dion et Taylor Swift étaient membres du même syndicat que les chansonniers qui font la tournée des bars de la province.

Or, la tentative de putsch au sein de l’AJMLB est justement menée par Harry Marino, un avocat de 33 ans qui a fortement contribué à la réussite du mouvement de syndicalisation des joueurs des ligues mineures.

Marino, lui-même un ancien lanceur des ligues mineures, a notamment porté les couleurs des Capitales de Québec durant sa carrière d’athlète.

Les joueurs qui m’ont sollicité veulent un syndicat qui représente la volonté de la majorité, fait valoir Harry Marino.

Ce dernier s’en prend au passage au réputé agent Scott Boras qui est riche parce qu’il rend les joueurs les plus riches encore plus riches.

À un peu plus de deux ans de l’expiration de la convention collective de la MLB, les propriétaires doivent se taper sur les cuisses. Le syndicat qui leur a si souvent tenu tête – le seul à avoir résisté à l’instauration d’un plafond salarial – apparaît en totale déroute.

Tony Clark et Bruce Meyer sont dans un stationnement en Floride, en prévision de négociations pendant le conflit de travail dans le Baseball majeur, en 2022.

Tony Clark (à gauche) et Bruce Meyer (à droite) ont négocié la convention collective actuelle du Baseball majeur pour les joueurs.

Photo : Reuters / Greg Lovett

***

En début de semaine, lors d’une visioconférence à laquelle participait le groupe de mutins, Tony Clark aurait clairement affirmé que les joueurs n’ont aucun pouvoir sur le choix de ses adjoints.

Clark, qui a joué dans les majeures pendant 15 ans, a ainsi posé sa propre tête sur le billot. Ceux qui veulent la tête de Meyer devront auparavant avoir la sienne. Pour les auteurs de la tentative de coup d’état, cela crée une drôle de situation.

Clark est sous contrat jusqu’en 2027 à titre de directeur exécutif de l’AJMLB. Pour le démettre de ses fonctions, le conseil de 72 joueurs (!) devrait probablement demander un vote de l’ensemble des joueurs de la MLB. La saison est sur le point de commencer et les joueurs ont d’autres préoccupations. L’issue de ce vote est aussi incertaine.

Par ailleurs, avant de pousser Clark et Meyer vers la porte de sortie, les joueurs devraient se demander s’il est approprié de décapiter leur syndicat alors que l’échéance de leur convention collective approche.

Et surtout, ils devraient se demander si Harry Marino, le type de 33 ans qui vient de déclarer la guerre aux vedettes du baseball, a l’expérience et le bagage nécessaires pour négocier un complexe contrat de travail de plusieurs milliards de dollars.

Si Marino tente de se hisser de force aux commandes, il ne comprend visiblement pas que la solidarité des joueurs est une condition essentielle au succès du syndicat. Il n’est donc pas l’homme de la situation. Quant à Tony Clark et à Bruce Meyer, ils font face à une fronde qui ne s’atténuera pas.

Les propriétaires ont sans doute très hâte de négocier.

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