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AnalyseLes Américains remettent en question l’indépendance de l’Agence mondiale antidopage

Ils menacent maintenant de retirer leur financement

Un technicien manipule des échantillons d'urine.

Le laboratoire antidopage de Chatenay-Malabry, près de Paris, en France, le 15 décembre 2015

Photo : Getty Images / AFP/Franck Fife

L'affaire des 23 nageurs chinois qui avaient échoué à un test antidopage et qui ont été blanchis par l'Agence mondiale antidopage (AMA) continue de faire des vagues, à un tel point que les responsables de l'organisme tiendront une réunion extraordinaire, vendredi, pour s'expliquer une nouvelle fois sur leur contamination.

D'ici là, un gros nuage annonciateur de tempête plane au-dessus des gendarmes de l'antidopage mondial.

Le quotidien New York Times a mis la main sur des documents qui montrent que les responsables de l'antidopage américain sont passablement remontés contre l'agence mondiale.

Le plus haut responsable de l'antidopage dans l'administration Biden, qui siège également au conseil exécutif de l'AMA, le Dr Rahul Gupta, a d'ailleurs envoyé une lettre cinglante à l'organisme.

Permettez-moi de souligner l'extrême inquiétude que j'ai entendue directement de la part des athlètes américains et de leurs représentants sur cette question, peut-on y lire. Comme je l'ai partagé avec vous, les athlètes ont exprimé qu'ils se dirigeaient vers les Jeux olympiques et paralympiques avec de sérieuses inquiétudes quant à l'égalité des règles du jeu et à l'équité de la compétition.

Dans l'article, on apprend également que le sénateur démocrate du Maryland, Chris Van Hollen, qui siège au sous-comité des finances de l'AMA, menace l'organisme de lui retirer le financement américain.

Nous avons besoin de réponses avant de soutenir un financement futur, a-t-il déclaré.

Les États-Unis font parie des principaux bailleurs de fonds de l'antidopage mondial avec une contribution annuelle qui s'élève à 5 millions de dollars.

Et comme si ce n'était pas suffisant comme mises en garde, on apprend qu'un comité bipartisan de la Chambre des représentants menait sa propre enquête sur les tests positifs chinois.

Une nageuse sourit après avoir terminé une course.

L'Américaine Lilly King, double médaillée olympique

Photo : Getty Images / Michael Reaves

Les athlètes américains font part également de leur défiance vis-à-vis de l'AMA.

Je ne suis pas sûre, lorsque je monte dans les blocs, que les gens à ma droite et à ma gauche soient propres, a déclaré la nageuse et double médaillée d'or olympique Lilly King. Et c'est vraiment dommage, car ce n'est pas quelque chose sur lequel je devrais me concentrer lorsque je concours aux Jeux olympiques.

Comment en est-on arrivé à cette guerre ouverte? Il est important de rappeler les faits et de s'intéresser au produit dopant incriminé.

Au même titre que les stéroïdes anabolisants, plus besoin d'être un scientifique pour connaître maintenant la trimétazidine, ou TMZ.

Depuis quelques années, plusieurs athlètes ont testé positif à ce produit interdit par l'AMA. La dernière en date est la joueuse de tennis de 18 ans et finaliste du tournoi de Wimbledon chez les juniors, la Tchèque Nikola Bartunkova. Elle a été suspendue provisoirement en attendant la décision de l’Agence internationale pour l'intégrité du tennis.

La joueuse de tennis tchèque, Nikola Bartunkova

La joueuse tchèque en action

Photo : Getty Images / Mike Hewitt

Produit améliorant la performance ou pas? Une certitude pour l’AMA, mais de nombreux scientifiques sont plutôt dubitatifs.

Le problème, c’est que non seulement la liste des athlètes qui ont testé positif à ce produit est longue, mais le traitement n’est pas le même pour tous les incriminés.

Tout le monde se souvient de l’affaire Kamila Valieva, la jeune patineuse russe suspendue pour quatre ans. Elle avait plaidé la contamination et elle a perdu.

Plus près de nous, la Québécoise spécialiste du canoë Laurence Vincent Lapointe avait testé positif à la trimétazidine. Elle a plaidé la contamination et elle a gagné sa cause.

La vedette de natation et médaillée d’or olympique, le Chinois Sun Yang, a échoué à un test antidopage et a été suspendue.

La nageuse américaine Madisyn Cox, elle, a été dans un premier temps suspendue pour deux ans après avoir testé positive au produit, mais le Tribunal arbitral du sport (TAS) a finalement accepté les conclusions des avocats de la nageuse qui avait plaidé la contamination par un produit vitaminé.

La bobeuse russe Nadezhda Sergeeva a elle aussi été attrapée avec le produit interdit, elle a été suspendue pendant huit mois.

Puis, pour clore le tout, cette incroyable et spectaculaire histoire des 23 nageurs chinois, qui ont tous testé positif à la trimétazidine. Non seulement aucun d'entre eux n'a été suspendu provisoirement, la peine spécifiée dans le code mondial de l’AMA, mais on a accepté les conclusions internes de l’agence antidopage chinoise et personne n'a été inquiété.

Une canoéiste rame avec énergie.

Laurence Vincent Lapointe en finale du C1 200 m

Photo : AP / Kirsty Wigglesworth

Que faut-il en conclure? Un même produit, mais des sentences à géométrie variable.

Quand on demande à l’AMA de montrer les études qui prouvent hors de tout doute que le produit améliore la performance, on se perd dans des dédales. Sa réponse est toujours la même : Des études existent.

La trimétazidine a été ajoutée à la liste des interdictions en 2014, car elle remplit au moins deux des trois critères nécessaires pour être ajoutée, notamment qu’elle a le potentiel d'améliorer ou améliore effectivement la performance sportive. De nombreuses publications scientifiques relevant du domaine public le démontrent clairement, a été la réponse que l'AMA a fournie à Radio-Canada Sports.

Radio-Canada Sports avait écrit au groupe pharmaceutique Servier, qui commercialise la molécule, pour connaître ses éventuelles conséquences sur les athlètes.

Notre équipe mène actuellement une consultation en interne en vue de répondre à votre requête spécifique. Nous vous remercions de votre patience pendant que nous effectuons ces recherches, a été la réponse obtenue, en septembre 2023.

Depuis, rien.

Par contre, des spécialistes insistent pour dire qu'il n'existe aucune des études scientifiques vérifiées dont parle l'agence mondiale dans son courriel.

Où sont-elles, ces études? De plus, dans un cas, l'AMA accepte le principe de contamination et pas dans l’autre, s'interroge un médecin spécialiste du dopage.

Un expert émet de gros doutes

Un scientifique a affirmé devant le TAS que le produit en faible quantité ne pouvait en aucun cas améliorer la performance et qu’une contamination était possible.

Ce scientifique, c'est Pascal Kintz, un expert médico-légal français et professeur de toxicologie qui travaille comme consultant privé à Strasbourg. C’est lui qui a permis de prouver hors de tout doute que Laurence Vincent Lapointe avait été contaminée. Radio-Canada Sports l'avait contacté à l'époque.

L’expert travaille depuis longtemps sur l’analyse des cheveux, qu’il compare à l’écorce des arbres. Autrement dit, les cheveux enregistrent une mémoire temporelle. Comme les strates dans la croûte terrestre.

On peut se demander pourquoi l’AMA refuse obstinément d’étudier l’efficacité des tests capillaires, alors que l’on pourrait potentiellement prouver que la trimétazidine n’est pas forcément un produit dopant et que la contamination peut être possible.

Autre question qui mérite d’être posée : pourquoi deux poids, deux mesures? Ce qui est bon pour les Chinois n’est-il pas bon aussi pour les Russes?

La jeune patineuse est en pleurs après sa performance aux JO de Pékin.

Kamila Valieva

Photo : Getty Images / Catherine Ivill

D’un côté, une jeune Russe de 15 ans est coupable, car elle ne pouvait pas être contaminée par son grand-père qui, pourtant, prenait ce produit pour se soigner. De l’autre, 23 nageurs chinois sont déclarés innocents, car ils auraient été contaminés par un produit qui se trouvait dans un pot d’épices, dans la cuisine d’un hôtel.

Comment la trimétazidine a-t-elle pu se retrouver dans un pot d'épices? C'est un mystère aussi épais que celui de la Caramilk, ironise une source bien informée, qui s'interroge également sur la quantité de trimétazidine qui a réussi à contaminer une armée de Chinois.

La trimétazidine est un médicament qui sert à soigner l'angine de poitrine. Il faut croire que les poitrines sont différentes selon le pays d’où l’on vient.

La preuve que ce produit améliore la performance reste donc à faire, car plusieurs scientifiques, dont Pascal Kintz, ont déclaré qu’il produisait de nombreux effets secondaires de type parkinsoniens et que cela pouvait amener des troubles de la marche, des chutes et des hallucinations. Ce qui, raisonnablement, ne pourrait en aucun cas favoriser un athlète. En tous cas, sûrement pas en canoë, en patinage artistique ou au tennis.

À qui profite le crime?

En attendant des réponses, les responsables de l’AMA devraient, selon plusieurs, redoubler d’ardeur au lieu de couper les cheveux en quatre comme seule réponse à un problème qui continue de ruiner certaines carrières de jeunes athlètes.

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