•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Un joueur de hockey se concentre avant un match.

Samuel Laberge – Les rêves donnent du travail

« La Ligue nationale et tout ce qui l’entoure, c'est un luxe. Je ne pourrai jamais tenir cela pour acquis. »

Signé par Samuel Laberge

L’auteur est un attaquant appartenant à l’organisation des Devils du New Jersey. Il raconte le long parcours qui l’a mené à disputer ses premiers matchs dans la Ligue nationale de hockey à 26 ans, fin novembre et début décembre 2023.

Au 50e étage du magistral hôtel Four Seasons, à travers la fenêtre de ma chambre qui allait du plancher jusqu’au plafond, j’avais une vue sur tout le centre-ville de Philadelphie. J’étais allé chercher ma clé dans un hall situé 10 étages au-dessus, où le plancher était fait de marbre noir.

Je me suis dit : Voyons donc, qu’est-ce que je fais ici?

Enthousiaste comme un enfant à Noël, je me suis mis à appeler tout le monde. J’étais dans un rêve, celui pour lequel j’avais tellement travaillé.

Un peu plus tard, alors que j’étais allongé sur le lit, j’ai reçu un message texte d’Ondrej Palat qui m’invitait à aller rejoindre quelques-uns de mes nouveaux coéquipiers des Devils du New Jersey dans un restaurant de sushis.

Ils m’ont payé la traite ce soir-là et m’ont simplement demandé de payer l’Uber pour rentrer à l’hôtel. C’était un bon deal.

Le lendemain matin, il a fallu que je me retienne pour ne pas manger toutes les bonnes choses qu’on nous servait au déjeuner. J’avais quand même un match à jouer en soirée, mon premier dans la Ligue nationale de hockey.

Puis, je suis allé marcher dans Philadelphie en profitant de chaque seconde.

À 26 ans, j’ai joué à la fin du mois de novembre et au début du mois de décembre mes deux premiers matchs dans la meilleure ligue du monde. J’y repense aujourd’hui et je suis content d’avoir vécu l’expérience en ayant pris le temps de savourer le moment.

Ce n'est pas tout le monde qui le voit comme ça, mais je suis conscient que la Ligue nationale et tout ce qui l’entoure, c'est un luxe. Avoir la chance d'être traité de cette façon-là, c'est un luxe.

Ça m’a frappé à l’occasion de mon premier rappel, mais je pense que les deuxième et troisième fois, je vais continuer de le savourer autant.

Je ne pourrai jamais tenir cela pour acquis.

Il lance la rondelle au fond de la zone adverse

Samuel Laberge en action à son premier match dans la LNH

Photo : Getty Images / Tim Nwachukwu

À l’âge de 15 ans, j’ai regardé mon horaire et j’ai conclu que la meilleure façon de financer ma prochaine saison de hockey était de travailler à la ferme.

Mes parents m’avaient averti qu’il fallait que je me trouve un emploi.

Selon le calibre où j’allais jouer, le midget AAA allait me coûter environ 10 000 $ et le midget espoir, environ 5000 $. On ajoute quelques milliers de plus pour l’entraînement sur glace et le hors glace durant l’été, tout cela avant même que mes parents se soient retrouvés à l’aréna toutes les fins de semaine, avant qu’ils aient payé l’essence et le reste, et sans compter tout le temps qu’ils allaient me consacrer.

C’était beaucoup pour deux personnes qui n’ont pas un énorme salaire, mais qui étaient toujours là pour moi et toujours prêtes à m'encourager.

Je trayais les vaches, je leur donnais à manger, je faisais toute la routine pour m’occuper d’environ 80 têtes. À la ferme, on appelle ça faire le train.

Je travaillais le matin de 5 h à 7 h 30, je revenais me coucher, puis j’allais m’entraîner de 10 h à 11 h au gymnase et de 12 h à 13 h sur la glace. C’est ma grand-mère qui venait me chercher à l’aréna étant donné que ma mère travaillait. Elle m’amenait ensuite à la ferme où je faisais le train de 17 h à 19 h 30, soit jusqu’à ce que mes parents viennent me récupérer.

C’est ainsi que j’ai passé l’été de mes 15 ans.

L’été suivant, j’ai livré des piscines. Je m’entraînais le matin, je faisais du pavage en après-midi, et le soir, j’étais serveur à la Cage aux Sports. Et les fins de semaine, je rentrais le samedi à 6 h pour livrer des piscines jusqu’à 14 h. Des méchantes semaines.

Au début, je ne réalisais pas à quel point ça m'a aidé que mes parents me fassent travailler à un jeune âge. C’est une valeur qui m’a été inculquée et que je n’aurais pas pu apprendre en restant toujours à la maison, devant la télé ou les jeux vidéo.

Mais à cet âge-là, tu ne comprends pas à quel point la vie coûte cher. Oui, je travaillais, mais je ne payais pas la bouffe ni rien d'autre. Tu ne vis aucun stress, tu habites chez tes parents et tu ne comprends pas combien la vie coûte.

Et tu ne réalises pas encore à ce moment-là ce qui est vraiment le plus précieux.

Il tire au but.

Samuel Laberge avec les Comets d'Utica

Photo : Getty Images / Frank Jansky/Icon Sportswire

Le mot fondation est riche en signification. C’est ce qui nous ancre, qui nous permet de bien grandir. Durant mon adolescence, il y a deux fondations, justement, qui ont fait cela pour moi.

La Fondation B3, qu’avaient mise sur pied Steve Bégin, Francis Bouillon et Étienne Boulay, a aidé à payer mon entraînement d’été pendant trois ou quatre ans. C’était magique. Ça a tellement été utile pour mes parents et moi.

Déjà à l’époque, le parcours de Bégin était une inspiration pour moi. J’ai toujours été un joueur de caractère, peu importe où j’ai joué. À part dans le midget et durant une année de junior majeur, où j’ai récolté un point par match, j’ai toujours été plus un joueur de rôle et de caractère. Un gars qui apporte de l'énergie, qui joue physiquement, qui gagne ses batailles à un contre un.

Si j’ai réussi à atteindre mon rêve, c’est parce que je suis toujours resté dans mon rôle, et Bégin était un bon exemple de guerrier pour un jeune comme moi.

On dit souvent que, dans la vie, c’est mieux de donner que de recevoir. Or, après avoir reçu de la Fondation B3, j’ai voulu redonner ensuite en m’impliquant dans le milieu communautaire avec l’Océanic de Rimouski.

Les partisans et les gens autour de l’Océanic m'en donnaient tellement, on a été tellement gâtés, que c’était la moindre des choses pour moi d’aller dans les écoles et de faire des visites à l’hôpital ou auprès des personnes handicapées.

Un joueur en blanc célèbre un but devant des adversaires en rouge,

Samuel Laberge (en bas à droite) a disputé la Coupe Memorial avec l'Océanic de Rimouski en mai 2015 à Québec

Photo : Reuters / Christinne Muschi

Que ce soit dans le junior majeur ou chez les professionnels, tu as toujours quelques heures par jour qui te permettent de faire ce genre de choses. Et en tant que joueur de hockey, on a une visibilité assez avantageuse pour amasser des fonds.

J’ai été capitaine à ma dernière année à Rimouski et je pense qu’il y a des gars dans l’équipe à qui j’ai fait comprendre que c'était important de donner du temps. On a lancé une campagne de financement avec l’aide de la Fondation du Centre hospitalier régional de Rimouski pour acheter de l’équipement en pédiatrie.

Je sais que je suis le seul joueur dans l’histoire de la LHJMQ à avoir gagné le prix humanitaire à deux reprises, mais je n’étais pas seul. Il y a eu beaucoup de personnes qui m’ont accompagné.


J’étais en train de livrer des pièces d’auto quand le téléphone a sonné. J’avais terminé ma deuxième saison dans la Ligue américaine. La première s’était bien passée, mais la suivante avait été beaucoup plus difficile. Une commotion cérébrale m’avait tenu à l’écart pendant une bonne partie de la saison. Même si l’on se rend à l’aréna, on ne se sent jamais vraiment inclus dans l’équipe quand on est dans cet état-là. Le temps était long, tout seul dans mon appartement du Texas.

Quand je suis rentré à Mercier pour l’été, j’avais pris du mieux. J’avais recommencé à m’entraîner, je m’étais trouvé du travail et les choses semblaient sur la bonne voie.

J’ai reçu un appel pendant que j’étais à la job. On venait de diagnostiquer à mon père un cancer des os. En raison de toutes les émotions qui m’envahissaient, ça a été comme une rechute.

J’avais été invité au camp d’entraînement du Moose du Manitoba, mais après avoir encaissé cette nouvelle, inutile de dire que j’y suis allé à reculons. Après trois jours, je suis allé voir leur directeur général pour lui dire que ça n’allait pas, que je me sentais trop loin et que je devais retourner au chevet de mon père.

Le hockey allait attendre.

Ça n’a pas été facile pour mon père d’accepter que son petit gars rentre à la maison pour prendre soin de lui. Mais l’accompagner à l’hôpital et être assis avec lui pendant quatre heures de traitements par jour nous a rapprochés.

Il n’y a pas eu de grande amélioration durant la première phase de traitements, qui a duré cinq ou six mois. Il a obtenu une dérogation pour essayer un traitement provenant des États-Unis et ça l’a vraiment aidé dans sa lutte.

Quatre ans plus tard, l’important pour lui demeure de garder le cancer à un niveau stable.

Sauf qu’à ce moment-là, je ne savais pas si j’allais un jour retourner jouer chez les professionnels.

J’ai passé une année avec les Éperviers de Sorel dans la Ligue nord-américaine et, en parallèle, je me suis trouvé du travail dans le coffrage. Une connaissance m’a proposé de venir essayer un poste qu’une quinzaine de personnes avaient délaissé avant moi.

Faire des trottoirs et des bordures à longueur de journée, ce n’est pas exactement le boulot idéal. Mais quand tu retournes à la maison, que tu n’as pas d’emploi et que tu te trouves un bon salaire comme ça, tu le prends. Je l’ai fait pendant un an tout en jouant à Sorel.

Un joueur de hockey en rouge sourit après avoir marqué un but.

Samuel Laberge a joué pour les Éperviers de Sorel en 2019-2020

Photo : Éperviers de Sorel/LNAH

Le calibre dans la LNAH est meilleur que plusieurs le croient, mais surtout, ça m’a fait énormément de bien de retrouver un groupe de gars qui me faisaient rire et qui me permettaient de décrocher. Bon, j’étais brûlé de ma semaine de coffrage en descendant à Sorel le vendredi, mais une fois que l’hiver s’est installé et que j’en ai eu fini du ciment, je me suis mis à performer.

Dommage que la COVID ait forcé l’annulation des séries éliminatoires.

À la maison, je réalise avec le recul que ça m'a aidé de voir comment mon père se faisait soigner et comment les choses se passaient à l’hôpital. Il a fallu que je vive ça avec lui pour mieux déterminer à quel moment je pouvais repartir et tenter à nouveau ma chance dans le hockey.

J’avais signé un contrat avec les Thunders d’Adirondack dans l’ECHL, mais à cause de la COVID, ils n’ont pas eu de saison et m’ont prêté aux Americans d’Allen.

Après un an et demi dans l’ECHL, j’allais finalement être de retour dans la Ligue américaine avec le sentiment d’avoir enfin le vent dans les voiles.


Après ma première saison avec les Comets d’Utica, le club-école des Devils dans la Ligue américaine, ils m’ont fait signer un contrat quelques jours à peine après la fin du calendrier.

Puis à l’automne 2022, juste avant de connaître ma meilleure saison à Utica, les Devils m’ont invité à participer à un match préparatoire de la Ligue nationale.

Au Centre Bell!

Pour un joueur qui n’a pas de contrat de la LNH, quand on te fait ce genre de cadeau, tu veux en profiter, mais tu veux aussi donner en retour.

Alors, j’ai donné… plusieurs mises en échec!

Mon agent et moi avons partagé les frais d’une loge pour accueillir ma famille. J’étais très ému après la rencontre. Même si ce n’était pas un vrai match, c’était quand même l'aréna de mon enfance, là où mes parents m'emmenaient voir le Canadien de Montréal. J’étais dans l’uniforme de l’autre équipe, mais cette fois-ci, c’est moi qu’ils venaient de voir jouer sur la patinoire du Centre Bell.

Ma mère est celle qui m’a appris à jouer au hockey et qui a été ma première entraîneuse. Mon père, lui, m’a transmis par d’autres moyens la volonté de gagner et de finir premier.

Mon père était dans son fauteuil roulant ce soir-là. Il ne peut pas marcher pendant très longtemps, mais il a quand même pu venir et en profiter.

J’aurais aimé être invité de nouveau au camp de la Ligue nationale cet automne-là. Mais peut-être que ma prochaine présence au Centre Bell sera pour un match qui compte vraiment.

Il patine avec la rondelle.

Samuel Laberge avec les Comets d'Utica

Photo : Getty Images / Frank Jansky/Icon Sportswire

Un samedi matin à Utica.

La veille, on avait joué à Syracuse et on allait être de nouveau en action pour un deuxième match en 24 heures. L’entraîneur-chef Kevin Dineen n’avait pas prévu de rencontre d’équipe en matinée, alors j’en ai profité pour dormir un peu plus longtemps. Mais à mon réveil, j’ai constaté que j’avais raté trois appels de mon coach.

Tu ne veux pas commencer la journée de cette manière-là.

- Ouais, tu te lèves pas mal tard, m’a dit Dineen sans s’offusquer.

Il m’a demandé de passer le voir à l’aréna quand j’aurais un moment.

Une fois dans son bureau, Kevin m’a dit qu’il se passait des choses au sein de l'organisation des Devils et que je ne jouerais pas en soirée. Il m’a donc dit d’aller m’entraîner en attendant de ses nouvelles. J’étais en maudit.

Vingt-cinq minutes plus tard, lorsque j’étais dans le gymnase, il m’a invité dans son bureau à nouveau et m’a dit : Ce sont les Devils qui ne veulent pas que tu joues ce soir, ils ne veulent pas que tu te blesses. Ils sont en train de parler à ton agent. Tu vas signer ton premier contrat de la Ligue nationale.

J'étais très ému. Je me suis mis à pleurer.

C’est la raison pour laquelle, au sommet du monde dans ma chambre du Four Seasons, puis le lendemain matin dans les rues de Philadelphie, chacune des étapes qui m’avaient amené jusque-là m’est revenue en tête.

Non, je ne l’ai pas volé.

Dans tout cela, je suis conscient du fait que les Devils n’ont pas non plus une tonne de joueurs qui pratiquent mon style de jeu.

Il y a des matins où je me lève et j'ai mal partout à force de jouer de façon robuste. Ce n'est pas tout le temps facile. D’un autre côté, c'est presque plus facile de monter les échelons dans un rôle comme celui-là. On regarde les joueurs les plus habiles, ceux qui font le plus de points, et on leur prédit une carrière dans la Ligue nationale. Mais pour eux, dépasser les joueurs des deux premiers trios dans la LNH demande qu’ils soient exceptionnels.

Au contraire, mon style est basé sur le travail, l’énergie et la volonté. Oui, c’est plus physique et tu en paies le prix, mais tu n’as pas besoin de talent pour bien manger et pour t’entraîner fort. C’est une question de volonté.

Un joueur de hockey patine avant un match.

Samuel Laberge le 1er décembre 2023 avant un match contre les Sharks de San José

Photo : Getty Images / Elsa

Le 30 novembre 2023, avant mon premier match au Wells Fargo Center de Philadelphie, j’ai fait le tour de patinoire en solo qu’on réserve aux recrues. Tyler Toffoli avait caché mon casque dans son casier, donc j’ai passé ma période d’échauffement sans casque.

Puis, deux jours plus tard, j’ai joué mon premier match à domicile contre les Sharks de San José.

J’ai été rappelé la première fois en me disant que j’allais en profiter au maximum. J’étais stressé et il y avait beaucoup d'émotions. Mais maintenant, mon état d’esprit est de travailler fort pour y retourner et y faire ma place pour de bon.

J'ai gardé la même routine, je fais les mêmes choses. S’ils m’ont fait signer un contrat et qu’ils m’ont rappelé, c’était grâce à ma façon de jouer, alors je ne dois rien changer et rester dans mon rôle.


Il y a un seul truc dans tout cela qui est difficile. J’ai une petite fille de 18 mois que je ne vois pas souvent étant donné que je suis séparé de sa mère et qu’elle reste à Sainte-Martine.

Ne pas la voir plus souvent est vraiment pénible. Disons qu’on joue le vendredi et le samedi à Utica, j’essaie de descendre deux fois par mois pour passer mon dimanche avec elle, ou même le lundi si on a une journée de congé. Parfois, on s’entraîne le dimanche matin, et je descends ensuite à Montréal. J’arrive vers 16 h et j'ai ma fille pendant environ deux heures et demie jusqu’à ce que je la couche. Le lendemain, je peux être avec elle jusqu’à ce que je doive repartir pour Utica en fin d’après-midi.

Ça fait des journées chargées, mais c'est important pour moi de passer du temps avec elle.

Sinon, je suis un homme heureux. J'ai vécu beaucoup de choses et on apprend de tout ce qu’on vit, de nos hauts, de nos bas et des erreurs que l’on fait. Cela t’aide à grandir. En général, si tu n’as pas d'obstacle, tu ne peux pas devenir plus fort. C’est en surmontant un obstacle que tu sors de là gagnant.

J’ai travaillé très fort et je sais que j’ai un parcours différent. Mais quand je regarde en arrière, je suis fier de tout le travail et des efforts déployés. Fier aussi d'avoir eu une famille qui m'a tant soutenu et qui m’a permis de vivre mon rêve.

Tu enlèves tout ce qu’ils ont fait et le temps qu’ils ont donné, rien de cela ne serait jamais arrivé.

Il fonce vers la rondelle.

Samuel Laberge

Photo : Associated Press / Matt Slocum

Propos recueillis par Marc Antoine Godin

Photo d'entête par Tim Nwachukwu/Getty Images