Comment percevons-nous la musique? Les sciences neurologiques commencent à percer ce mystère. Les
chercheurs en arrivent à la conclusion que le cerveau possède des régions exclusivement dédiées à
la perception musicale. Que ce soit la perception des intervalles, du contour d'une mélodie, de la
consonance et de la dissonance d'une pièce, et même des émotions que la musique suscite, le cerveau
musical est à l'œuvre.
Au moment où Beethoven a complété sa neuvième symphonie, il ne pouvait pas en entendre une seule
note: il était complètement sourd. La musique qu'il a écrite se trouvait tout entière dans sa tête.
Remarquable? Certainement! Mais pas seulement parce qu'il était un compositeur de génie. Beethoven
possédait, à un très haut niveau, la faculté de percevoir les mélodies sans réellement les entendre.
Ce n'est qu'une des nombreuses habiletés qui fascinent les psychologues et les neurologues qui
s'intéressent à la manière dont les gens créent et traitent la musique. En étudiant le cerveau, des
chercheurs comme Isabelle Peretz, neuropsychologue à l'Université de Montréal, espèrent décortiquer
la façon dont les gens perçoivent la musique et la comprennent.
Un cerveau humain en activité est hautement spécialisé, tant d'un point de vue anatomique que
fonctionnel. Chaque petite région du cortex apparaît dédiée à une fonction spécifique et peut être
considérée comme un microcerveau (ou module) spécialisé dans le traitement d'informations
particulières. Mais cette modularité du cerveau, relativement facile à concevoir, est en fait
difficile à dénicher. Les zones propres au traitement de la musique se trouvent adjacentes à celles
du langage. On soupçonne que les systèmes neuronaux empruntés dans le traitement de la musique sont
également semblables, parallèles.
Le son et le cortex auditif
La musique est constituée de parties simples: des sons. Les sons naturels sont des variations de la
pression de l'air engendrées par les vibrations des objets, comme la voix humaine ou les cordes d'un
piano. Cette variation déclenche un mouvement des molécules d'air appelé ondes sonores, de fréquence
et d'amplitude variables. Les vibrations des cordes vocales et des instruments de musique produisent
dans l'air des mouvements semblables aux ronds qu'un hameçon fait dans l'eau. Elles se propagent dans
l'air, tout comme les ronds se propagent à la surface d'un étang. Certaines combinaisons de ces
fréquences sont associées à des hauteurs spécifiques que le cerveau reconnaît comme des notes. Et
certaines combinaisons simultanées de hauteurs forment naturellement des accords, l'élément de base
d'une harmonie en musique.
Les ondes sonores sont d'abord captées par le pavillon, c'est-à-dire la partie charnue de l'oreille
externe qu'on appelle communément oreille. Mais le gros du travail se fait dans la partie non visible
de l'oreille - l'oreille interne et, surtout, la cochlée, en forme de limaçon. Les quelque
30 000 récepteurs auditifs situés dans la cochlée les encodent en influx nerveux. Cette information
est alors acheminée au cerveau via le nerf auditif pour atteindre, finalement, le cortex auditif, où
l'expérience consciente du son prend place.
On a longtemps considéré la musique comme une activité culturelle, et non comme un besoin biologique.
Son appréciation et sa pratique étaient surtout le résultat d'un mélange d'aptitudes et d'apprentissage.
On a récemment découvert que le cerveau fragmentait et analysait les différentes composantes de la
musique. Dans le cas de la mélodie, le cerveau décode d'abord le contour. Cette analyse se fait dans
une région située dans le lobe temporal droit. Par contre, lorsque nous voulons déterminer avec plus
de précision les intervalles entre chaque note de la mélodie, cette tâche s'effectue dans le lobe
temporal gauche.
Les neuropsychologues Ann Blood et Robert Zatorre, de l'Institut de neurologie de Montréal, auraient
identifié une autre zone cérébrale: celle où siège l'émotion musicale. Ils ont découvert que les
régions responsables du plaisir, situées au plus profond du cerveau, s'activent aussi. Ce sont les
mêmes zones qui sont activées lors de la consommation de certaines drogues. La musique serait-elle une
drogue? «Elle a des effets semblables à ceux des drogues, mais c'est un stimulus construit par
l'homme», concède Robert Zatorre.
Les recherches de l'équipe du Dr Zatorre portent également sur l'imagerie musicale. Quand nous
fredonnons une chanson, nous activons cette région du cortex auditif. Chose surprenante, lorsque
nous faisons jouer cette même chanson, c'est en fait la même région qui s'active. De plus, lorsque
nous devons aller fouiller dans notre mémoire pour retrouver la chanson, c'est cette autre région,
dans le cortex frontal, qui s'active. Dans les deux cas, il s'agit du système paralimbique, associé
aux émotions. Avec son équipe, il a découvert que lorsque les gens "entendent" une mélodie dans leur
tête, le cerveau utilise sensiblement les mêmes régions pour entendre une mélodie avec les oreilles.
Ceci indique que le cerveau n'a pas besoin d'ondes sonores pour reproduire le son. Le voilà bien
percé, le secret de Beethoven: il utilisait les différentes régions de son cerveau pour compenser
son déficit auditif.
Il n'y a guère plus d'une trentaine de spécialistes dans le monde qui étudient les rapports du
cerveau et de la musique. À la différence de la vue, l'ouïe (et par extension, le cerveau musical)
est un sens qu'on commence tout juste à étudier pour la peine. Il reste encore beaucoup de travail
pour découvrir toutes les zones du cerveau musical. Il doit bien y avoir des régions pour l'harmonie,
la polyphonie et le rythme. Certains chercheurs croient qu'il existe une douzaine de ces régions
spécialisées.
Mais au bout du compte, à quoi sert le cerveau musical? Le jury délibère toujours. Selon Isabelle
Peretz, l'hypothèse la plus plausible serait que la musique nous sert d'élément unificateur, de
médium qui renforce la cohésion sociale.
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