Chaque jour, dans le sport professionnel, on rapporte des milliers de blessures. Rien d'étonnant,
lorsqu'on considère la violence de certains sports. Il est vrai que les athlètes d'aujourd'hui se
sentent parfois comme des gladiateurs modernes, à l'abri dans leur carapace, dans leur équipement,
et qu'ils se doivent, à cause des salaires payés, d'en donner pour leur argent aux spectateurs.
Mais cette culture encourage aussi les coups à la tête. Chaque année, les coups donnés au crâne ou
à la mâchoire dans les divers sports de contact, et même dans les autres sports, engendrent des
millions de traumatismes crâniens. Au point où l'on commence à s'inquiéter sérieusement dans le
milieu. La science se penche sur le problème.
Au soccer, le choc peut sembler anodin, mais en réalité, il est brutal. Comme le ballon est très
rigide et qu'il voyage facilement à plus de 120 kilomètres à l'heure, imaginez l'impact! On estime
maintenant que ces coups de tête présentent un risque potentiel de commotion cérébrale. Cette
donnée surprenante vient confirmer ce que la Dre Suzanne Leclerc a constaté en travaillant avec
les athlètes amateurs de l'Université McGill. «On ne connaissait pas grand-chose initialement sur
les commotions cérébrales, admet Suzanne Leclerc. Si on regarde de nombreuses années en arrière,
une commotion cérébrale était égale à une perte de conscience. Il était rare d'arriver à un
diagnostic de commotion cérébrale si quelqu'un n'avait pas eu une perte de conscience.» On sait
maintenant qu'il y a danger de commotion cérébrale dès qu'un coup est porté à la tête ou à la
mâchoire. La masse gélatineuse du cerveau se déplace alors d'un côté à l'autre de la boîte crânienne.
D'ailleurs, le contrecoup est souvent plus sévère que le coup lui-même. Parfois, il y a court-circuit:
le fonctionnement normal du cerveau est interrompu, même s'il n'y a pas toujours perte de conscience.
Pour déterminer l'existence d'une commotion cérébrale, les chercheurs se sont donc tournés vers
les autres symptômes qui accompagnaient souvent les coups à la tête ou à la mâchoire. Des symptômes
comme des maux de tête, de la confusion, de la difficulté à se concentrer, des nausées, des
étourdissements ou des bourdonnements d'oreilles.
En cas de commotion cérébrale, un seul traitement: le repos, et ce jusqu'à la disparition de tous
les symptômes. En effet, il est capital que le retour au jeu soit parfaitement contrôlé. Un
athlète peut mettre sa vie en danger s'il revient au jeu trop vite. Par contre, même s'il est
guéri, il demeure plus fragile. On s'est rendu compte qu'un athlète victime d'une commotion cérébrale
était beaucoup plus susceptible d'en subir d'autres.
Les commotions cérébrales sont aussi de plus en plus répandues dans le hockey professionnel.
Il n'est donc pas étonnant que la Ligue nationale de hockey ait décidé de réagir dès 1997. L'équipe
du Canadien s'est tournée vers la neuropsychologue Maryse Lassonde, de l'Université de Montréal.
Depuis toujours, elle s'intéresse à l'effet des dommages au cerveau sur le comportement et sur la
cognition. Sa tâche consiste à établir le profil neuropsychologique des joueurs en début de saison,
lorsqu'ils sont en bonne santé. En cas de commotion cérébrale pendant la saison, on pourra comparer.
Malgré tous ces tests, une grande question demeure. Qu'arrive-t-il au cerveau lors d'une commotion
cérébrale? Pour le savoir, l'équipe de Maryse Lassonde travaille avec un casque muni de 28 électrodes
qui enregistrent l'activité électrique du cerveau lorsqu'il est soumis à un stimulus visuel.
L'onde P300 mesure la capacité d'attention du sujet. Chez les gens en bonne santé, cette onde
est dominée par le rouge. Mais lorsqu'on la compare avec le P300 d'athlètes victimes d'une commotion
cérébrale, le rouge disparaît presque complètement. Ce test permet aussi de suivre la guérison d'un
cerveau dans le temps, ce qu'on n'avait jamais pu faire jusqu'à maintenant.
Au football, ça cogne dur. En Amérique du Nord, c'est le sport qui engendre le plus de commotions
cérébrales. Il y a quelques années, la Dre Karen Johnston a été enrôlée comme ange gardien par les
Alouettes de Montréal. La recherche effectuée sur le P300 l'intéresse au plus haut point, car cet
outil, véritable fenêtre ouverte sur le cerveau, pourrait l'aider à établir de façon convaincante
la présence d'une commotion cérébrale, sans qu'il n'y ait eu coup direct à la tête.
Parallèlement, Karen Johnston a découvert, grâce à un autre type d'imagerie médicale, de nombreuses
anomalies dans le cerveau de certains des athlètes qu'elle traitait. Ce sont de petits points
blancs qu'on retrouve pratiquement toujours aux mêmes endroits. La difficulté est de savoir si
ces anomalies correspondent aux fonctions de la mémoire, d'attention et de concentration de ces
athlètes, fonctions typiquement altérées lors des commotions cérébrales. Pour cela, elle s'est
rendue à l'Institut de neurologie de Montréal pour travailler avec le psychologue Alain Ptito.
L'instrument de prédilection d'Alain Ptito est le scanner à résonance magnétique fonctionnel. Cet
instrument mesure les variations locales d'oxygène dans le cerveau lorsqu'on le stimule, par une
tâche visuelle, par exemple. Quand le sujet est couché à l'intérieur du scanner, on lui présente
quatre stimuli visuels en succession. Après un court délai, on fait apparaître une cinquième image.
Le sujet doit indiquer si cette image était parmi les quatre précédentes. Cette tâche active
certaines régions frontales du cerveau. Chez les sujets-témoins qui n'ont jamais eu de commotion
cérébrale, on assiste, lors de cet exercice, à une forte activation du cerveau, traduite par la
couleur bleue. Ce n'est pas le cas pour ceux qui présentent encore des symptômes de commotion
cérébrale. «Si vous regardez cet athlète qui ne montre pas d'activation dans les régions cérébrales
qu'on observe chez les témoins, on a recommandé, en regardant les autres tests faits pour lui, qu'il
ne retourne pas au jeu, qu'il attende et retarde son retour», explique Alain Ptito.
Avec Karen Johnston, Maryse Lassonde, Alain Ptito et Suzanne Leclerc, la recherche va bon train.
Elle offre déjà des applications, non seulement pour les athlètes professionnels, mais aussi pour
la population en général.
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