Pourrait-on, par un test biologique, découvrir ceux qui risquent vraiment de se suicider? Des
chercheurs croient que cela est possible. Ils scrutent les cerveaux et les gènes des suicidés
à la recherche d'indices biologiques. Leur but: créer un test qui permettrait aux médecins et
aux psychiatres de confirmer ou d'infirmer leurs craintes. Un test qui leur permettrait
d'intervenir à temps et de sauver des vies.
«C'est là que j'ai vu Steven, raconte Louise Pinkerton, en pointant l'endroit où elle a retrouvé
le corps inanimé de son fils. Il était couché par terre, sur le ventre, sur le côté droit.
Il était mort. Cette image me restera dans la tête jusqu'à la fin de mes jours.» Steven, son
fils de 24 ans, s'est suicidé. Il pratiquait avec succès le culturisme, mais depuis quelques
mois, il avait des idées suicidaires. Il avait même écrit des lettres d'adieux qu'il avait
cachées à ses proches. «Mais sachant comment il était fort d'esprit, je ne pouvais pas m'imaginer
qu'il s'enlèverait la vie, explique Louise Pinkerton. C'est une douleur qui transperce mon âme.»
Pourquoi Steven s'est-il enlevé la vie? Cette question hante sa mère.
Pourquoi le suicide? Le psychiatre Gustavo Turecki, du groupe d'études sur le suicide de
l'Université McGill, y consacre ses recherches. «La première chose qu'on constate, quand
on étudie le cas des personnes qui se sont suicidées, c'est la présence de maladie mentale.
En fait, presque 100 % des gens qui se sont suicidés avaient un problème de santé mentale»,
avance le Dr Gustavo Turecki. Une personne sur quatre souffrira d'une maladie mentale au
cours de sa vie. Parmi ces gens, bien peu se suicideront. Comment cibler ceux qui présentent
un risque réel de s'enlever la vie? En consultation, il n'est pas facile d'évaluer ce
risque. Le médecin doit se fier à ce que le patient lui raconte.
Depuis longtemps, les psychologues et psychiatres essaient de faire le portrait-robot du
suicidé. Nadia Chawki est la responsable des psychologues qui aident les proches éprouvés
par un suicide. Pour chaque cas, elle essaie de comprendre ce qui s'est passé. "Ce qui
ressort beaucoup, ce sont des problèmes de dépression ou d'abus de substances comme l'alcool
ou la drogue. Sur le plan de la personnalité, on remarque souvent de l'impulsivité", analyse
Nadia Chawki. On remarque aussi que les personnes qui se sont suicidées avaient de la
difficulté à donner un sens à leur vie. Ils ont souvent vécu des situations d'abandon
et de rupture (perte d'emploi, divorce, etc.). "On parle aussi beaucoup de problème de
résilience. Ces personnes ont de la difficulté à rebondir devant l'adversité", ajoute
Mme Chawki. Pourtant, la majorité des gens qui répondent à ces critères ne se suicideront
pas pour autant. Y a-t-il un moyen de cibler davantage ceux qui passeront à l'acte?
Les chercheurs se sont tournés vers la biologie. Ils sont allés voir ce qui n'allait pas
dans le cerveau des suicidés. Pour cela, ils gardent dans des congélateurs plus d'une
centaine de cerveaux, qu'ils peuvent scruter à la loupe. S'il est vrai que les expériences
que nous vivons influent sur le fonctionnement, sur la biochimie de notre cerveau,
il est vrai aussi que la biochimie du cerveau peut influer sur nos comportements. On
sait déjà que de nombreuses maladies mentales, comme la dépression, s'accompagnent de
problèmes biochimiques. Qu'en est-il pour le suicide?
L'équipe du Dr Gustavo Turecki a premièrement noté un problème de sérotonine dans le cerveau
de ceux qui s'étaient suicidés. Dans un cerveau en santé, on retrouve dans le bulbe rachidien
un noyau de neurones qui produit de la sérotonine, un neurotransmetteur. De là, la
sérotonine est distribuée dans le cerveau. L'étude des coupes du noyau montre que chez
les personnes qui se sont suicidées, contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre,
les neurones produisaient davantage de sérotonine. Toutefois, malgré cette production
élevée, on observe dans le lobe préfrontal un manque de sérotonine. C'est donc le transport
de ce neurotransmetteur qui serait déficient. Résultat: le lobe préfrontal, qui contrôle
l'impulsivité, fonctionne mal.
Dans la pratique, on a effectivement remarqué que les personnes qui se sont suicidées
étaient souvent impulsives, voire agressives. Il ne serait pas étonnant qu'il y ait un
lien entre l'impulsivité, la sérotonine et le suicide. La mère de Steven le
confirme: «Les derniers mois ont été difficiles. Il était devenu très tendu. Son vocabulaire
était agressif. Il parlait de son travail, de ses activités, mais avec tellement
d'agressivité, de rage parfois.»
Une autre piste est aussi considérée, bien qu'elle soit très contestée par les cardiologues.
Des études ont démontré que les gens qui avaient un faible taux de cholestérol sanguin sont
plus sujets à l'impulsivité. Le Dr Gustavo Turecki, quant à lui, refuse d'ignorer cette piste.
Après tout, peut-être que les gènes qui contrôlent la production du cholestérol ont des effets
insoupçonnés sur la biochimie du cerveau. "Il n'y a pas de gène du suicide, mais on étudie la
génétique parce qu'on veut comprendre la prédisposition au suicide", précise-t-il.
Grâce à la collaboration des familles, la recherche dispose de centaines de fioles de sang
provenant de personnes qui se sont suicidées. Dans l'histoire du suicide, l'hérédité aurait
son mot à dire. Certaines familles semblent plus fragiles que d'autres. L'équipe du Dr
Turecki est en train de passer au crible les 30 000 gènes que contient l'ADN. On veut vérifier
lesquels sont activés ou désactivés dans le cerveau, selon le type de décès. Dans le cas de
Steven, depuis son adolescence, il traînait une fatigue chronique qu'il combattait de toutes
ses forces et face à laquelle la médecine semblait impuissante. Pour en avoir raison, Steven
s'est adonné au culturisme, mais cette fatigue a persisté, minant sa vie. Malgré son état,
Steven refusait de voir un médecin. Après sa mort, les psychologues ont diagnostiqué une
dépression majeure.
Aujourd'hui, avec les nouvelles découvertes, on espère aller encore plus loin. On espère qu'un
jour, un examen d'imagerie médicale, ou encore un test sanguin, permettra de mieux mesurer
le risque suicidaire.
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