Commotion cérébrale
L'Alzheimer
Schizophrénie
Bases biologiques du suicide
Psychologie et guérison

Cerveau et immunité

C'est l'organe le plus mystérieux du corps humain. C'est aussi le plus fragile, car le cerveau est une véritable maison de verre. Le moindre choc, le moindre intrus peut y faire des dégâts irréparables. Aussi, l'évolution l'a protégé de maintes façons. Il y a les méninges, un tissu très résistant, qui l'enveloppe, et le crâne, une coquille d'os, qui l'entoure. Et pourtant, cette maison de verre, cet organe fragile, ne profite pas de la protection du système immunitaire pour le défendre des bactéries et des virus. C'est du moins ce que croyait la science jusqu'à tout récemment.

On croyait que le cerveau ne disposait pas de système immunitaire en raison de la barrière qu'on retrouve uniquement dans la paroi des vaisseaux sanguins qui alimentent le cerveau: la barrière hémato-encéphalique. Dans le cerveau, la paroi des vaisseaux sanguins est formée de cellules tricotées très serrées, si serrées que seules les petites molécules comme l'oxygène et les sucres y passent. Cette barrière ferme la porte aux lymphocytes, les soldats du système immunitaire, ainsi qu'aux bactéries. Ailleurs dans le corps, ce n'est pas le cas. Les parois des vaisseaux sanguins ne forment pas une telle barrière. Les lymphocytes peuvent à tout moment traverser la paroi pour attaquer bactéries et virus.

Cette barrière est importante. Si les lymphocytes pénétraient dans cette maison de verre, ils y feraient plus de mal que de bien. Ils commettraient des bavures irréparables. «L'accès aux cellules du cerveau est extrêmement protégé parce que vous n'avez pas avantage à avoir des molécules qui peuvent être dommageables pour les neurones. Si vous sacrifiez un neurone, il n'y a pas de retour possible, le neurone ne se régénèrera jamais, contrairement à d'autres cellules», explique le chercheur Serge Rivest.

Or, grâce à ce chercheur québécois et à son équipe, tout a changé. Leurs recherches ont démontré que le cerveau avait son propre système immunitaire. L'équipe de Serge Rivest a découvert un système extrêmement sophistiqué, avec des sentinelles et des milliards de soldats prêts à aller au combat.

Première découverte, le rôle insoupçonné de certains organes du cerveau: les organes circumventriculaires. «Il y a, dans le tissu nerveux, des régions où les capillaires sanguins ne sont pas aussi serrés qu'ailleurs. Ces régions, ce sont les organes circumventriculaires. Nous en possédons quatre.» L'équipe de Serge Rivest les considère comme les sentinelles immunitaires du cerveau. Une fois qu'une de ces sentinelles détecte un risque d'infection, elle sonne l'alarme. Des milliards de cellules du cerveau se mettent en état d'alerte. Notez bien: ce ne sont pas les neurones qui s'éveillent ainsi, mais les microglies, des cellules aux allures de pieuvres.

Il faut savoir que les neurones ne composent que 10 % des cellules du cerveau. Les 90 % qui restent sont formés par les cellules gliales. Jusqu'ici, on prêtait à ces cellules un rôle de support des neurones. Or, un type de ces cellules gliales, la microglie, aurait un rôle tout à fait particulier: elle pourrait détruire virus et bactéries sans briser les précieux neurones.

Lorsque la microglie s'éveille, on observe une légère inflammation. C'est la réponse immunitaire innée. Cette inflammation est normale. On l'observe ailleurs. Si on se coupe la peau, par exemple, une rougeur apparaît autour de la plaie. C'est une inflammation qui encercle le tissu envahi par les microbes afin de mieux les détruire. Dans le cerveau, c'est la microglie qui initie l'inflammation. Mais ce bon soldat qui protège le cerveau contre les intrus pourrait bien avoir un côté sombre. Du moins, des soupçons très graves pèsent sur lui.

«Nos études nous permettent de croire que cette petite cellule pourrait être impliquée dans l'apparition de certaines maladies neurodégénératives, comme l'Alzheimer ou la sclérose en plaques», dénonce le chercheur. C'est effectivement ce que l'équipe de Serge Rivest a observé dans le cerveau de souris qui souffrent de maladie neurodégénératives. Ils ont vu qu'il existait une réponse inflammatoire visible avant même la mort des neurones. Cette inflammation ne s'éteint pas, elle persiste durant la maladie. «C'est une réponse inflammatoire chronique, une espèce de maladie auto-immune, comme l'arthrite. C'est ce qui fait qu'il y a une dégénérescence du tissu.»

L'Alzheimer serait-il causé par une inflammation immunitaire chronique des microglies? L'Alzheimer serait-il l'arthrite du cerveau? Pour le moment, il n'est pas permis de répondre. La microglie possède encore bien des mystères, mais l'équipe de Serge Rivest travaille dur pour mieux comprendre son rôle. «On essaie de comprendre pourquoi ces cellules peuvent à la fois protéger le cerveau et contribuer à favoriser sa dégénérescence. On est bien loin de comprendre pourquoi elles sont actives et pourquoi elles s'activent pendant une longue période de temps.»

Les découvertes de l'équipe de Québec ont fait la première page des journaux scientifiques et bousculé un vieux dogme de la science. Le cerveau a bel et bien un système immunitaire, et ce système serait capable du meilleur, comme du pire.


  Suite