Il
fut un temps où les fêtes religieuses rythmaient
la vie sociale et où le perron d'église servait
de lieu de rencontre. Après la messe, les familles
se réunissaient autour de la table. De cette époque,
l'odeur du pain chaud et les bons beignes de nos grand-mères
sont restés dans nos mémoires.
« Le
beigne a toujours été là, dans les familles,
puis dans les supermarchés, dit Renée Dubé,
analyste en marketing chez Zins, Beauchesne et associés.
Pourquoi? Parce que c'est un produit un peu comme le pain,
comme le café, c'est un produit qui a traversé
le temps. »
« Le
beigne correspond d'une certaine façon à la
grande zone qu'on appelle en anglais "comfort food",
que je traduis par "aliments câlins", estime
pour sa part Normand Turgeon, professeur aux HEC Montréal.
Parmi ces aliments câlins, il existe une zone que j'appelle
"aliments souvenirs". Le beigne fait partie de cette
branche. »
Avec
le temps, les perrons d'église ont été
désertés. On se rencontre maintenant dans les
restaurants de café et de beignes. « Nous
retrouvons par exemple des personnes âgées qui,
à certaines heures, viennent prendre leur café,
lire le journal et socialiser, et des jeunes qui viennent
après l'école se retrouver, prendre une boisson,
une collation », dit Mme Dubé. « Tim
Horton veut jouer la carte locale, la carte de quartier, c'est
le lieu de rassemblement », poursuit M. Turgeon.
Avec
plus de 5000 commerces de beignes au Canada, il est facile
de se rassembler. Pas une ville, une autoroute ou un carrefour
important qui n'ait son marchand de beignes. Souvent même,
Dunkin' Donuts et Tim Hortons ont pignon sur la même
rue. Que ce soit Moncton au Nouveau-Brunswick, Regina en Saskatchewan,
Sainte Catherines en Ontario, ou Dorval au Québec,
d'un océan à l'autre, le beigne est roi. Les
Canadiens détiennent le titre de champions mondiaux
de mangeurs de beignes!
En
fait, on assiste actuellement au pays à une véritable
guerre des beignes. Qui la gagnera? Pour l'instant, le no 1
du beigne, Tim Hortons, propriété du groupe
américain Wendy's, a une longueur d'avance sur ses
concurrents avec 2200 restaurants. Il vient aussi de
s'associer avec Esso pour distribuer ses produits.
Dunkin'
Donuts, jusqu'ici en perte de vitesse, vient d'être
acheté par la chaîne Alimentation Couche-Tard
et compte bien reprendre la première position.
Krispy
Kreme, nouvellement implanté au Canada, vient de conclure
une entente avec le géant Wal-Mart. Cette compagnie
veut, elle aussi, tirer profit de ce marché de trois
milliards de dollars par année. L'arrivée de
Krispy Kreme a ravivé l'intérêt pour les
beignes. Dans leurs restaurants, nous assistons à la
fabrication des beignes. On nous offre aussi un beignet chaud
pendant que nous faisons la file, de quoi nous inciter à
nous en procurer une douzaine.
Les
compétiteurs ont vu venir Krispy Kreme. Par exemple,
après avoir annoncé les sandwichs, le café
glacé et les biscuits, voilà que le petit couple
des publicités de Tim Hortons revient pour nous parler...
de beignes. Mais ce que le petit couple de Tim Hortons ne
vous dit pas, c'est que, selon les variétés,
un beigne peut contenir entre 180 et 350 calories.
Un beigne, c'est 50 % de sucre, 40 % de gras et
10 % de protéines.
L'épicerie
a fait analyser un beigne nature, un beigne à la crème
et un beigne glacé au miel de chez Dunkin' Donuts,
Tim Hortons et Krispy Kreme. Nous avons demandé à
Marianne Petit, nutritionniste, lequel contient le plus
de gras. « C'est un beigne nature!, répond-elle.
On pourrait pourtant penser que les beignes nature sont plus
santé que les autres. C'est celui de Dunkin' Donuts.
Pour un même poids que les autres beignes nature, il
contient littéralement deux fois plus de gras que les
autres beignes nature des compétiteurs. »
Nos analyses démontrent
que même frits dans l'huile végétale,
les beignes contiennent beaucoup de gras saturés et
de gras trans, les gras les plus nuisibles à la santé.
« En termes d'effets sur la santé, les deux
sont de mauvais gras, explique Mme Petit. Le gras saturé
augmente le mauvais cholestérol. Le gras trans l'augmente
aussi, mais il diminue aussi le bon cholestérol. Il
a donc un effet doublement nocif. Les beignes qui en contiennent
le plus parmi ceux analysés sont les beignes glacés
au miel, donc entre autres le fameux beigne de Krispy Kreme,
celui qu'on nous donne gracieusement pendant qu'on fait la
file. Celui-là contient beaucoup d'acides gras trans. »
Si
vous croyez que les trous de beignes contiennent moins de
gras, vous serez déçu : il suffit de quatre
à cinq trous de beigne pour obtenir le même nombre
de calories et la même quantité de gras qu'un
seul beigne.
Pour
mousser leur marché, les fabricants de beignes tentent
maintenant de nous vendre l'idée de déjeuner
avec un beigne et un café. « Les gens font
la file le matin pour s'approvisionner en beignes, dit Mme Dubé.
Traditionnellement, on voyait plus le beigne comme collation,
dessert ou coupe-faim. »
« C'est inquiétant un peu comme pratique,
estime la nutritionniste. Ce qu'on retrouve dans un beigne,
c'est principalement du sucre, beaucoup de gras et très
peu de protéines. Donc ça ne répond pas
aux critères de ce que devrait être un déjeuner
équilibré. »
Manger
un beigne est une douce habitude à laquelle de nombreuses
personnes ne sont pas prêtes à renoncer. Sauf
que cette habitude peut avoir des effets néfastes sur
leur poids. Mme Petit explique : « Si vous
consommez un beigne par jour en surplus de vos besoins de
base, par exemple si à chaque jour vous mangez 250 calories
de plus que ce que vous avez besoin pour fonctionner, vous
prendrez une demi-livre par semaine ». Une demi-livre
par semaine, c'est 25 livres par année, plus ou
moins 11 kilos. Pendant que nous gagnons en poids, les
compagnies gagnent en profits. Dans la guerre des beignes,
le consommateur est peut-être celui qui a le plus à
perdre.
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