Les OGM dans les aliments [enquête du 19 février 2004]
Nous cultivons de plus en plus de céréales
génétiquement modifiées au Canada.
Destinées aux animaux, elles se retrouvent néanmoins
parfois dans nos assiettes. Et ce, sans que l'emballage
n'en porte mention, comme nous le montre cette enquête
de L'épicerie.
Aujourd'hui,
le génie génétique cherche à modifier
les grains des céréales. En leur ajoutant un
ou des gène(s) provenant d'un autre organisme, les
céréales peuvent ainsi devenir résistantes
aux insectes, aux herbicides et même contenir davantage
d'éléments nutritifs. On parle alors d'organismes
génétiquement modifiés (OGM).
Marc G. Fortin,
directeur du Département de phytologie de l'Université
McGill, expert des OGM, a participé à toutes
les grandes études sur ce sujet. « Le Canada
produit trois aliments génétiquement modifiés :
le canola, le maïs et le soya, indique-t-il. Le canola
est surtout destiné à la fabrication de l'huile
et à l'alimentation animale; le maïs, à
l'alimentation animale; le soya, en bonne partie à
l'alimentation animale aussi. Il n'y a pas de produits frais
[génétiquement modifiés] destinés
au marché de consommation. »
Donc
pas de pommes de terre, pas de laitues, pas de fraises et
pas de tomates génétiquement modifiées
dans nos épiceries. Mais 40 % du maïs, 65 %
du canola et 81 % du soya cultivés en Amérique
du Nord sont génétiquement modifiés.
Ces céréales servent surtout à nourrir
les animaux. Toutefois, une certaine partie de la récolte
de soya et de maïs est transformée en farine et
entre donc dans la préparation des aliments transformés.
Nous pouvons donc retrouver des OGM dans nos assiettes
et ce, sans que nous le sachions. « Il faudrait
tester tous les produits. Personne ne l'a fait jusqu'à
présent », affirme M. Fortin.
Personne, sauf nous! L'épicerie, en collaboration
avec le journal Le Devoir, en a fait tester. Nous avons
fait appel à la compagnie française Atlangène,
parce qu'elle utilise une technologie de pointe qui permet
de déceler et de quantifier les OGM. Nous lui avons
soumis 27 produits qu'on trouve couramment dans un panier
d'épicerie comme des céréales, des biscuits,
du jus, du tofu, de la bière et de la sauce soya.
Résulats
de l'analyse
Sur
nos 27 produits testés, deux contiennent5 % d'OGM :
le mélange
à crêpes Aunt Jemima et les
petits gâteaux Joe Louis.
Deux autres produits contiennent entre
0,9 % et 1,2 % d'OGM :les céréales de maïs soufflé
givré de Super C et l'aliment
pour bébés Pablum.
Six
autres produits contiennent des
traces de maïs ou de soya génétiquement
modifiés.
Et
17 autres produits n'en contenaient pas du
tout. Un résultat qui a surpris.
Robert
Ducharme, biologiste, commente : « Je
m'attendais à trouver davantage d'OGM que
ce qui a été trouvé. »
Fabien
Deglise, journaliste au Devoir, poursuit :
« Cest un portrait assez étonnant
dans la mesure où la majorité des
produits testés ne contiennent pas d'OGM. »
Les OGM,
même en petite quantité, sont-ils nuisibles pour
la santé?
La boîte de petits gâteaux
Vachon et le mélange à crêpes Aunt Jemima
analysés contiennent 5 % d'OGM. Comment interpréter
ce résultat? Les avis sont partagés. « Vous
savez, des protéines qui pourraient avoir un effet
nocif sur la santé, ça n'en prend pas des quantités
phénoménales », estime M. Ducharme.
M. Fortin
est d'un tout autre avis : « Lorsque la farine
de maïs qui contient des OGM est incorporée à
un biscuit, puisque le biscuit est un produit relativement
transformé (il a été cuit), la plupart
du matériel va être dégradé. Dans
notre système digestif, le produit se dégrade
aussi. Ça fait maintenant huit ans que ces produits-là
sont sur le marché et personne n'en est mort, devenu
malade ou allergique. Il n'y a aucun cas de réaction
négative à un produit transformé qui
contient des OGM. » Est-ce une trop courte période,
huit ans, pour étudier les effets des OGM sur notre
santé? « Huit ans est trop court pour les
études d'effets toxicologiques à long terme
sur la santé humaine », reconnaît
M. Fortin.
Pour
sa part, le Pablum de soya que nous avons testé contient
0,9 % d'OGM. Que peut-on en dire? « Ce produit
peut être commercialisé autant en Europe qu'en
Amérique du Nord, parce qu'il correspond à la
norme de la Commission européenne de 0,9 % d'OGM,
répond M. Ducharme. Si on ne connaît pas
la nocivité potentielle des OGM sur la santé
humaine, c'est sûr que si ce danger existe pour les
adultes, il existe encore plus pour les enfants. »
Le
tofu que nous avons fait tester contenait des traces de soya
génétiquement modifié. Mais même
un tofu certifié biologique peut en contenir, comme
l'a démontré une enquête du Devoir
menée à l'été 2003. Sur 10 produits
biologiques testés, trois, dont un tofu, contenaient
des OGM.
M. Ducharme
nous explique comment cela est possible : « Les
produits biologiques sont susceptibles de contenir des traces
d'OGM. Ces traces proviennent de plusieurs sources possibles,
par exemple un champ d'OGM à côté d'un
champ de culture biologique. Le vent peut transporter des
graines ou du pollen dans le champ voisin. Il y aussi le matériel
agricole et de transport. »
Par
contre, les céréales Corn Flakes que nous avons
testées ne contiennent pas d'OGM. « Ce n'est
pas un produit certifié sans OGM. Il est donc possible
que des lots précédents ou subséquents
aient contenu des OGM en quantité détectable
ou quantifiable. Mais on ne peut pas le savoir »,
affirme M. Ducharme.
En fait, tout le problème est là : on
ne peut pas savoir. Contrairement à l'Union européenne,
qui oblige les compagnies à inscrire sur leurs emballages
la quantité d'OGM lorsqu'ils dépassent un seuil
de 0,9 %, au Canada, on ne contrôle pas ce taux.
Aucune norme ne fixe la quantité d'OGM dans les aliments.
En 1998, le Canada a signé
une entente avec les États-Unis afin d'harmoniser
notre réglementation à la leur en
matière d'OGM. Les Américains ne veulent
pas d'étiquetage des OGM, car cela suppose
un suivi systématique de tous les produits
qui entrent dans la fabrication des aliments. Puisque
cela fait grimper les coûts, on préfère
ne pas donner ce renseignement.
Cette
décision politique n'est pas sans conséquences,
car le silence entretient la peur, estime M. Deglise :
« La peur concernant les organismes génétiquement
modifiés est beaucoup alimentée par le mutisme
des gens, des autorités sanitaires, de Santé
Canada, des entrepreneurs, des gens qui évoluent dans
ce milieu-là. Les gens ne veulent pas parler. »
Quand
la population est peu informée, la méfiance
s'installe. D'autant plus que de nombreuses crises viennent
de secouer le monde de l'alimentation : la maladie de
la vache folle, la fièvre aphteuse et la grippe aviaire.
Elles ont toutes miné la confiance des consommateurs
en la sécurité de leurs aliments. « En
l'absence d'étiquetage, le consommateur ne sait pas
comment s'y retrouver », affirme M. Deglise.
Selon un sondage, une majorité
de Canadiens se dit en faveur de l'étiquetage obligatoire
En 2002, un sondage effectué
pour le gouvernement fédéral révélait
que 84 % des Canadiens étaient en faveur de l'étiquetage
obligatoire des OGM. Sur les nouvelles étiquettes nutritionnelles,
Santé Canada oblige les fabricants à indiquer
les glucides, les gras trans et les agents de conservation.
Alors pourquoi pas les OGM? Rien ne dit que les produits étiquetés
« avec OGM » resteraient sur les tablettes,
surtout s'ils sont attrayants et moins chers.
En terminant
Si les OGM vous
intéressent, notre collaborateur, le
journal Le Devoir, publie à compter
du 19 février une série de
trois articles de Fabien Deglise sur le sujet.
Voici
le premier. Vous trouverez également
de l'information complémentaire à
ce reportage (hyperliens, etc.) en cliquant
sur le bouton « Plus d'info »
de la boîte ci-dessous :
Résultats
de notre test
Les aliments
sélectionnés ont été
envoyés aux laboratoires de la compagnie
française Atlangène Applications,
qui a effectué le test « PCR en
temps réel » (polymerase chain
reaction). Ce test permet d'extraire l'ADN du produit
et d'identifier les marqueurs d'OGM dans la chaîne.
Le seuil de détection de ce test est de 0,01 %.
NQ = non quantifiable
Produit
Marque
Pourcentage
d'OGM détecté
Céréales de flocons
de maïs
Corn Flakes, Kellogg's,
400 g
Non quantifiable (NQ)
Céréales
Froot
Loops. Kellogg's, 275 g
< 0,9 % (maïs)
Céréales de maïs
soufflé givré
Super
C, 375 g
1,2 % (maïs)
Maïs à grains entiers
Géant
Vert, deux couleurs, 341 ml
< 0,1 % (maïs)
Maïs à grains entiers
Del
Monte, frais cueillis Croque-Soleil, 341 ml
< 0,1 % (maïs)
Tomates entières
Aylmer,
796 ml
-
Pâte de tomates
Hunt's,
369 ml
-
Sirop de maïs
Sans
nom, 750 ml
NQ
Poudre à pâte
Magic,
450 g
NQ
Gâteaux chocolatés
Jos
Louis, Vachon, Saputo, 410 g
> 5 % (soya)
Marinade et sauce
Teriyaki,
Kikkoman, 296 ml
NQ
Bière
Maudite,
Unibroue, 341 ml
NQ
Bière
Labatt
Bleue, Labatt, 341 ml
NQ
Bouillon de poulet
Bouillon
de poulet Campbell's, 900 ml
NQ
Mélange à crêpes
Le
Choix du président, 1 kg
< 0,9 % (maïs)
Mélange à crêpes
Aunt
Jemima, 905 g
> 5 % (maïs)
Chocolat au lait
Hershey,
chocolat au lait crémeux, 100 g
NQ
Biscuits au chocolat
Oreo,
Christie (Nabisco), 350 g
NQ
Biscuits aux brisures de chocolat
Décadent,
Le Choix du président, 400 g
NQ
Céréales de soya
pour bébé
Pablum,
premières étapes, 227 g
0,9 % (soya)
Tofu mou
Mori-Nu,
texture fine, 340 g
< 0, 1 % (soya)
Macaroni au fromage
Dîner
Kraft, 225 g
NQ
Bouillon concentré
Bovril
au buf, Unilever, 250 ml
NQ
Jus de pomme
Oasis,
960 ml
NQ
Maïs à éclater
(micro-ondes)
Reden
Budders, goût de beurre comme au cinéma,
297 g
< 0,1 % (maïs)
Sauce soya
Sauce
soya biologique Tamari, San-J International, 296 ml