La viande biologique [reportage du 15 janiver 2004]
La différence de prix entre le
poulet régulier et le poulet biologique, par exemple,
est importante. Vous paierez plus de deux fois plus cher
pour votre poulet bio. Pourquoi?
Jean-Pierre
Clavet était ingénieur dans l'industrie chimique
et pétrolière. Il a navigué sur toutes
les mers du globe, où il a pu constater les effets
de la pollution sur l'environnement. En 1989, il décide
de faire l'élevage biologique de poulet, de buf,
de veau et de porc. La ferme Le Crépuscule est certifiée
production biologique depuis 1994.
M. Clavet raconte ce qui l'a amené à prendre
cette décision: «J'ai connu l'ancienne agriculture,
avant son industrialisation. Elle m'a beaucoup touché,
beaucoup marqué, cette agriculture-là, surtout
quand j'ai vu ce qui est arrivé ensuite. Il y a eu
aussi l'enquête de la CECO dans les années 1970
sur la viande avariée. Puisque je suis une bonne fourchette,
j'ai été vraiment scandalisé de voir
qu'on servait de la viande avariée aux humains.»
Qu'est-ce que la viande
biologique?
L'élevage
biologique exige que les animaux bénéficient
de conditions de vie naturelles: air frais,
lumière du jour, espace pour faire de
l'exercice, alimentation équilibrée,
composée de grains et de produits exempts
de pesticides ou d'engrais chimiques. Évidemment,
pas question d'utiliser d'hormones de croissance,
d'antibiotiques ou d'organismes génétiquement
modifiés (OGM).
«Je
fais ça pour l'amour du métier, poursuit M. Clavet,
parce que sinon c'est sûr qu'avec toutes les contraintes
que ça apporte, je ne le ferais pas. C'est un choix
de vie, parce que je trouve que de manger bio, ça me
donne l'énergie que j'ai besoin tous les jours pour
faire ce que j'ai à faire. Et aussi pour la santé
que ça apporte.»
De plus en plus de gens mangent bio. Pour plusieurs, ce choix
correspond à un idéal d'authenticité
et de pureté, dans un monde de consommation et de pollution.
Cet idéal a cependant un prix: sur le marché,
la viande biologique coûte de 40 à 90 %
plus cher que la viande d'élevage industriel. Une différence
qu'on justifie par des soins exigeants et des coûts
plus élevés.
«L'alimentation de base des animaux, c'est soit le fourrage
qu'on donne (le foin) ou les grains, dit l'agriculteur. Pour
qu'il n'y ait pas de mauvaises herbes dans nos champs, nous
devons avoir une attention plus particulière. Pas question
de les éliminer avec un produit chimique! Nous devons
être plus attentifs aux champs. Nous devons aussi être
plus attentifs à nos animaux pour être certains
qu'ils sont en santé à tous les jours. Nous
devons leur donner le maximum, la meilleure qualité
qui soit pour l'hébergement, par exemple. Tous ces
soins-là, plus la traçabilité que nous
avons à suivre pour respecter la norme biologique,
nous amènent beaucoup plus de travaux, je pourrais
dire, donc un coût accru de production.»
«Par
exemple, on peut nourrir un poulet juste avec du soya et de
l'orge. C'est bien suffisant. Mais plus on augmente le nombre
de grains pour alimenter un poulet ou les animaux de boucherie,
meilleur sera l'impact sur la viande et sur l'énergie
que l'animal aura pendant sa vie. J'essaie toujours de leur
donner plus de six variétés différentes
de grains. Si je peux aller à huit, à dix, je
vais le faire.»
«Ici,
on a du soya biologique, très dispendieux à
l'achat, parce que c'est très rare. Il est présentement
surtout utilisé pour l'alimentation humaine, pour faire
du lait de soya, entre autres. J'utilise aussi du maïs
jaune et bleu, de l'avoine, de l'orge et du blé, tous
des grains certifiés biologiques.»
Les animaux en liberté bougent plus et dépensent
plus d'énergie. Ils mangent donc plus. Ils sont élevés
sur une plus longue période et leur élevage
requiert plus d'espace. Ces coûts supplémentaires
se reflètent aussi nécessairement dans le prix
de vente au détail.
M. Clavet
distribue lui-même les produits de sa ferme et ceux
d'autres producteurs biologiques. Il approvisionne certains
des restaurants les plus luxueux de Montréal.
Le propriétaire du Latini, Moreno DeMarchi, achète
les poulets de Jean-Pierre Clavet d'abord pour leur goût,
et pas nécessairement à cause de leur étiquette
bio: «Je n'achète pas un poulet biologique; j'achète
un poulet de la ferme du Crépuscule! En France, les
poulets de Bresse sont reconnus dans le monde entier. La raison
est simple: ils sont élevés comme on a toujours
élevé les poulets. Maintenant, on met un poulet
en cage, et son travail, ce n'est pas de vivre, c'est de grossir.
Et vous avez le poulet que vous avez! Vous le prenez, et seulement
en le regardant, vous vous demandez s'il sort de l'hôpital
ou d'un camp de concentration!»
La viande biologique n'est pas nécessairement réservée
à une clientèle aisée. De plus en plus
de gens choisissent de privilégier la santé
et la qualité de vie. Le Café Rico est un dépôt
où des abonnés de la ferme du Crépuscule
viennent chercher leurs provisions de la semaine.
Stéphane
Kordahi, du Café Rico, nous explique pourquoi il aime
consommer des aliments biologiques : « Le
fait que ce soit des produits bio nous permet d'avoir une
confirmation qu'on ne mange pas n'importe quoi. Qu'on n'est
pas bourré d'hormones, qu'on ne mange pas d'organismes
génétiquement modifiés, qu'on ne va pas
se retrouver avec des mutations génétiques nous-mêmes.
Il y a un débat important là-dessus en ce moment
et on veut essayer de donner le plus de possibilités
de consommer des aliments bons pour la santé. Et qui
sont bons pour l'environnement aussi, parce que ça
se joue à deux sens. C'est important!»
La viande biologique est-elle vraiment meilleure pour la santé
humaine?
Stéphanie Côté
nous donne son point de vue de nutritionniste: «Très
peu d'études ont été faites pour évaluer
les différences nutritionnelles. Les études
montrent que les viandes bio contiennent un peu moins de matières
grasses que les conventionnelles, donc s'il y a moins de matières
grasses, il y a proportionnellement un petit peu plus de protéines.»
«On
peut aussi parler du stress des animaux, qui peut influencer
la texture, la couleur et la capacité de rétention
de la viande, donc finalement, la qualité du produit
de la viande que l'on consomme, poursuit-elle. Entre autres,
les animaux stressés ont tendance à produire
des viandes plus pâles, plus flasques et qui ont tendance
à perdre leur eau. Le stress affecte donc la qualité
de la viande.»
«En ce qui concerne les médicaments et les antibiotiques,
conclut-elle, leur usage est très réglementé
par l'Agence canadienne d'inspection des aliments. En théorie,
on ne devrait donc pas retrouver de résidus dans la
viande. Sauf que la littérature démontre ce
que les experts dans le domaine de la santé voient
aussi: les humains et les animaux sont de plus en plus résistants
à certains antibiotiques et médicaments. Ça
pourrait découler directement de l'administration de
ces produits aux animaux. Quand on choisit de la viande bio,
on s'épargne probablement ces problèmes.»
Priorité à
la nourriture saine
«Vous
savez, dit M. DeMarchi, quand on achète
un parfum et qu'on le met à l'extérieur
de notre corps, on l'achète, point. Ce
qui va dans notre corps, dedans, à
l'intérieur de nous, on ne fait pas
attention.»
Note
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